D’un coup, alors que nous attaquons un sabayon préfabriqué de chez Phénix qui promet des fondations dans l’estomac et du plâtre en rab’ autour des dents, résonnent les premières notes du "printemps" de Vivaldi par Nigel Kennedy (dont on aurait aimé qu’il périt à Dallas, aussi).
Tom tom tada tom da tom tom ! Tom tom tada tom da tom tom !
Interloqués, les convives se regardent car il est malséant de laisser son portable allumé et sans mode silence en ce type d’occasions : partouze (où le mode vibreur peut proposer des situations intéressantes néanmoins), alunissage, catch dans la boue avec douze Tchétchènes furibards, grosse déconnade entre super potes qui s’adorent...
Patrick rougit (ce qui tend à démontrer qu’à défaut d’avoir une âme il a des manières), s’excuse et extirpe de sa poche un BlackBerry qui n’est pas sans ressembler aux premiers réfrigérateurs américains, aux pupitres des salles de contrôle de la NASA ou aux blasters que les HipHopeurs du début des années 80 portaient à l’épaule se saoulant de SugarHill Gang. Le truc fait téléphone, bien entendu, pédéha, agenda, c’est sûr, gépéhesse, aimepétroi, photo, vidéo, synthétiseur, traducteur, traitement de texte, tableur, base de donnée, péhaho, préhaho, mais aussi, probablement, le café, l’addition et une petite pipe pour la route.
Pauvre "connassedeSéverine" ! A quoi sert-elle ? Que n’est-il possible de faire avec cet engin ? N’est-elle qu’une chair ? Je me promets de le lui demander, mais un autre jour, pour ne pas fâcher Catherine.
Patrick regarde l’écran gigantesque de son machin et, voyant un numéro connu et terriblement important, il s’excuse, se lève et va chuchoter dans la cuisine. Autour de la table, un grand silence se fait qui est, pour moi, un véritable régal, bien plus que le Sabayon minable que je chipote flasquement.