Cela fait un petit moment que je t’observe, crapule, parfaitement,
crapule et encore je me retiens.
Tu vas mourir. Jouissance.
Et tu ne le sais pas.
Comme ton père avant toi.
Ah, ton père. Si tu savais.
A quel point je l’ai aimé. Il ne me quittait pas, notre attachement
mutuel rythmait nos heures. Nuit et jour.
Jusqu’à l’arrivée de cette rivale au visage liquide, au yeux de fluor,
qui m’a valu d’être mise sur la touche. Il en est mort, pauvre diable.
Tu m’as voulue, tu m’as choisie, tu m’as prise. Tu te souviens ?
Cette merveilleuse première fois, le parfum de ma peau contre la
tienne, ta sueur bue par mes pores, le glissement de nos chairs à peine
s’effleurant mais goûtant l’une à l’autre.
J’étais pour toi une revanche sur le temps qui passe, sur ton père
aussi, tu caressais les souvenirs d’un autre, initiation presque
incestueuse.
La tueuse c’est moi. Ne dis pas que je suis une détraquée, je suis
parfaitement lucide.
Et puis elle... Elle que tu présentes comme ton » petit bijou », ta
« précieuse », ta "der des der" avec un mélange d’arrogance arriviste
et de naïveté qui me font toutes deux peine pour toi. Fidèle, toi ?
Laisse moi rire.
Elle qui se colle à toi, avec une précision qui ne m’appartenait plus,
trop vieille, trop vieille.
Tu vas mourir.
Dix heures quarante cela te va ? On va dire que cela te va, ce ne sera
pas difficile, pour la seconde fois de ma vie, de bloquer les rouages
de quelqu’un.
Quant aux miens...
Attends... quelques secondes... le temps de ralentir mes aiguilles...voilà.
C’est fait.
C’est marrant, tu es tombé comme lui. Souvenirs souvenirs...
On viendra pieusement regarder mon cadran et on dira « Oh ! comme
c’est curieux cette coïncidence, la montre de son père s’est arrêtée à
l’heure précise de sa... »
Tu l’as voulue, ta digitale.
Tu as eu tort.