Depuis des heures je souffle, je sue, je suffoque même. Depuis des heures, je suis devenue folle.
J’ai entrepris l’ascension, malgré les interdictions, malgré la fatigue du voyage, malgré tout. Le guide a bien précisé, ne pas sortir sans escorte, surtout la nuit. Mais cette fois-ci l’appel a été trop fort.
Pourtant je suis habituée à entendre, à sentir ces vibrations qui émanent des vielles pierres. Et je suis toujours arrivée à me contrôler. Au fil des promenades françaises, nos villes sont jonchées d’églises regorgeant de sensations, mais presque à chaque fois tout se passe en silence. Seul mon mari, quelquefois se rend compte ( il connaît mon secret).
Bien que, prise par surprise, au détour d’une promenade champêtre, un simple caillou, totalement anodin, me laisse sans voix. Obligée de stopper mes pas, la respiration haletante, je m’agenouille, et ma main, toujours la gauche, caresse la pierre. Pas un effleurement, ni un tapotement, une caresse, longue et....charnelle.
Puis tout se brouille, et je pars. Où ? Je ne saurais dire, je ne me le rappelle jamais. Mon compagnon, au début surtout, prenait peur. Il m’a dit que je devenais toute blanche et chaude. Mon regard devenait vide, comme vitreux. Et c’est tout. Au bout de vingt ans, il fait moins attention et moi aussi d’ailleurs. Bien souvent ce sont juste quelques palpitations.
J’ai visité de vieux châteaux célèbres qui étaient « vides ». En fait remplis de touristes jacassant, mais asséchés de leurs âmes. La solitude doit faire partie du processus. Je me suis souvent demandé si des sites très visités n’avaient pas déjà déversé leur suc sur quelqu’un d’autre. Je ne peux quand même pas être la seule ?
Mais aujourd’hui, au pied des pyramides des Olméques,près de Mexico, les choses ont pris des proportions incontrôlable. Au fond de moi, je savais que dans ce pays , quelque part il y aurait pour moi un appel. Et tout le long des visites j’ai ressenti des picotements. Mais cet après-midi, j’ai su. Les pyramides à travers le bus climatisé étaient superbes, et comme chez tous mes compagnons de route des ah ! et des oh ! ont résonnés en moi.
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Mais la descente du bus et la visite étaient trop chaotiques, pour répondre aux cris qui brûlaient ma tête. De petits vendeurs, des gens, des gens partout, et surtout les collègues de travail à mon mari, je ne pouvais décemment, sans porter ombrage à mon époux, prendre part au rituel. Ce fut un martyr. Jamais je n’osais imaginer que cela pouvait être aussi intense, et douloureux. Toutes les fois où j’en avais senti le besoin, je « m’accouplais » à la pierre sans plus attendre.
La Pyramide de la Lune n’émettait pas un appel, mais un cri, rugissant qui m’ attaquait. Ne pas répondre fut un bouleversement. Enfin, à l’abri dans le bus je pus reprendre mon souffle. Mon mari assis à coté de moi m’a pris la main et m’a susurré un simple merci. Puis après la soirée , l’hôtel endormi, les exhortations ont repris. Le guide nous avait seriné les dangers du pays et surtout pour les touristes. Mais il fallait que j’y retourne.
Donc, j’ai pris un taxi et les yeux exorbités du conducteur, devant le billet promis, m’ont permis de m’assurer qu’il m’attendrait à l’entrée des Pyramides (mon espagnol aussi). En me rapprochant j’ai pris peur. Je ne gérais plus rien, et mon corps était mû par autre chose que mes propres membres. Je n’aurais pas pu faire demi-tour si je l’avais voulu. La pyramide est très considérable et de nuit, a perdu ses contours. Je distingue à peine les escaliers tordus. Je sais qu’au bout d’un moment il n’y en a même plus.
Dès la première marche, j’ai été envahie, possédée. Mais, d’instinct, je sais que les signaux proviennent d’en haut. Alors commence la longue ascension……..
Je suis arrivée. Heureusement un petit bout de lune m’éclaire suffisamment pour me guider dans mes pas. Bien que j’ai la sensation que je ne sois pas tout à fait maîtresse de mes gestes. Je marche à petit pas à travers les cailloux. Et je me dirige sans aucune hésitation sur un spécialement. Quoique identique aux autres, je sais que c’est là l’épicentre de la pyramide. Ce qui veut sortir, à travers moi. Je sais ce que vous pensez, mais quoi ? Là encore je n’ai pas la réponse. Bêtement j’ai cru à des âmes humaines emprisonnées dans les pierres qui veulent être dégagées. Mais rien ne le confirme et je suis peut-être bien loin de la réalité.
Je m’agenouille enfin. Et ce geste, tant de fois accompli, me fais souffrir pour la première fois. Auparavant il y avais une sorte de plaisir ; de jouissance accrochée au cérémonial. Mais la force de celui-ci m’épouvante et je me demande si je vais me réveiller .Ma main frémit et je tremble dans chaque cellule de mon corps. Alors, d’un coup je l’appose …et mon être entier s’emballe. Je perçois comme des fluides qui me traversent et s’échappent par le sommet de mon crâne. La douleur me broie et je courbe mon dos vers l’arrière. Mon visage offert au ciel, je discerne des flots de lumière frissonnantes sortir de moi. A travers le voyage dans ma chair, ils psalmodient des mercis. Je sais que je les désenchaîne et leur offre la liberté. Alors, malgré la douleur, je continue et tiens ma main fermement.
C’est fini. La pyramide est vide, morte.