Escaliers monumentaux se heurtant à de lourdes portes closes et pourtant, derrière l’une d’entre elles, se cachait la guillotine. Nous le savions et, tous les jeudis en début d’après-midi, nous nous approchions le plus près possible de cet endroit avant de nous enfuir soudain comme une portée de moineaux alors que nos cœurs s’emballaient. Un huissier nous surprenait, plus souvent le moindre bruit ou cet étrange grincement qui nous tétanisait parfois. Etait-ce la lame que le bourreau affûtait ? Aussitôt, l’un d’entre nous l’affirmait et nos cris lui répondaient tandis que nos pas nous emportaient en sécurité. Ô pas bien loin ! En l’église toute proche où le Père attendait pour commencer le catéchisme dans un soupir d’agacement.
Un mardi, une clameur ébranla l’école, le père Béal l’avait dit à son fils : « Cette nuit il y aura une exécution ! » et tous les élèves se dévisagèrent pour savoir lequel d’entre eux allait être la victime que l’on conduirait yeux bandés et dont le corps continuerait à s’agiter une fois la tête ôtée ! Sûr que c’était vrai, le fils Pinton le tenait de son oncle qui travaillait à l’abattoir et « que les hommes c’était pareil que les animaux, ça vous pouvez me croire ! ». Alors il crachait par-dessus son épaule pour conjurer le sort et tous nous l’imitions pour nous rassurer.
Dans mon sommeil je voyais une tête ensanglantée dévaler dans un panier d’osier. Je me réveillais le lendemain en pleurs et ma mère perdait vite patience. Je me précipitais sur le journal à la recherche d’une photo du condamné (et si c’était une femme ?) mais seules quelques lignes attestaient de la sinistre réalité. Soulagé d’une certaine façon, je filais dès lors à l’école où nos bavardages allaient broder ce fait jusqu’à ce que l’instituteur nous intime l’ordre de nous taire ou de parler de choses de notre âge !
Aujourd’hui une grille métallique interdit l’accès de mon enfance, puis il n’y a plus de condamnés à mort et dans les cours d’école de cette ville de Montbrison nul besoin de chuchoter à la récré pour se faire peur.