Vingt ans...vingt ans déjà...
Elle regarde par la fenêtre les enfants qui se poursuivent dans le jardin, les fleurs, la vie.
Il a suffi d’une photo jaunie retrouvée par hasard pour que soudain l’esprit vagabonde. Retour vers le passé, mauvais film qui déroule ses kilomètres de pellicules en noir et blanc comme une gifle en pleine mémoire...
La vie ressemblait alors à une bouteille de champagne, pétillante, étourdissante de cette ivresse fugace qui mène vers les plus grands espoirs.
Elle n’a rien oublié, en fermant les yeux, il lui semble encore entendre les rires de cette joyeuse bande d’amis, les plaisanteries et les conversations enfiévrées qui les menaient jusqu’au bout de la nuit.
Et au-dessus de toutes les voix, sa voix à lui, si douce, si tendre et cette complicité qui les unissait et les isolait du reste du monde quand son regard se noyait dans le sien.
L’odeur des jasmins entêtants, les effluves suaves des bougainvilliers que la chaleur du soir exhalait lui reviennent en mémoire et lui tournent la tête jusqu’à la nausée. Le parfum de musc qui la troublait quand elle posait sa tête sur son épaule...Le présent s’échappe, s’envole vers d’autres sensations : ses mains dans ses cheveux, ses lèvres sur sa peau, émotions perdues en quelques secondes reconquises.
Vingt ans...vingt ans déjà...
Soudain tout se bouscule, un appel au milieu de la nuit, des bras qui l’enlacent, la chaleur étouffante du mois de mars, ces mots qu’elle n’entend pas, sept lettres et deux dates sur une croix blanche et cette incapacité à accepter la réalité.
Il ne reviendra pas.
La stupidité des hommes a eu raison de leur amour, une erreur, une seconde, quelques grammes de métal et une vie se brise entraînant avec elle d’autres vies dans le chaos et l’inconnu.
Il ne reviendra pas.
Il ne reviendra pas.
Elle a longtemps attendu et puis s’est résignée. Elle range la photo dans la boîte en carton et referme le couvercle comme on recouvre d’un voile un visage en deuil.
Vingt ans...pourtant déjà vingt ans....