Elle est sur son balcon, au 13e étage ; assisse sur une chaise arrachée tout à l’heure à l’ordre symétrique du salon d’été ; ses bras sont en appui sur la balustrade ; sa tête, inclinée, repose sur deux mains dissimulées ; une longue chevelure tombe dans une interminable cascade.
Cette posture lui donne un air léger et rêveur. Cette jeune femme est un fruit. Juste au dedans une indicible pourriture. Là-bas, et pas si loin au fond, l’horizon n’est plus qu’un épais trait de feu et de sang. Le jour s’endort dans un vermillon couronné d’une lumière bleutée noire. Elle n’a pas bougé d’un pouce. Rêveuse toujours elle paraît...
Elle se lève, doucement, mais assurément, comme ceux qui ont l’air de savoir leur destination. Elle enjambe la balustrade ; ses pieds reposent sur les quelques centimètres de béton qui prolongent le balcon.
Elle est de "l’autre côté". Après ce rempart métallique qui n’a plus autre fonction que de la retenir par ses deux mains en arrière à lui reliées. Elle fait face au vide. Sa robe blanche flotte au vent comme un drapeau. Cette flottaison, légère, libère un parfum chèvrefeuille qui sucre la nuit tombée ; coquine parfois, laisse entendre des formes sculpturales.
Elle ferme les yeux...
Papillon de nuit tout blanc, noir d’ennui, fatigué de nuits blanches, elle va, dans l’obscurité, prendre les airs. Meurtrie depuis longtemps elle est déjà ; elle sait, pour l’avoir entendu si souvent, ce n’est pas la première fois qu’elle y pense, le bruit sourd d’en bas d’une chair qui cogne. Elle écoute encore ce cœur qui tape, qui tambourine jusque dans ses tempes et ses chevilles. Il fait mal à taper de la sorte. De ses bras déployés, vierges d’étreintes, elle va s’envoler.
Maintenant...
Elle y est juste, vraiment, quand retentît la sonnette de l’appartement ; fausse note dans une partition réglée façon papier musique. Elle ne l’avait pas entendu depuis des lustres ce carillon, jusqu’à l’en oublier presque. Elle n’attend Personne. Elle n’a jamais attendu Personne. Personne n’est jamais venu. A nouveau tinte le carillon.
Elle découvre deux pompiers, visages déformés par le jeu de loupe de l’oeilleton. Le cercle de cuivre retombe. D’un coup d’un seul le temps se prolonge...
Les pompiers Madame, lui confirme t-on derrière la porte.
Elle se laisse glisser le long du mur du couloir, jusqu’à choir, en vrac, sur le balatum. Elle pleure. Elle pleure d’une pluie fine, silencieuse, presque imperceptible. La porte, le balcon ; le balcon, la porte ; n’importe se sera le balcon, et puis non...
J’arrive, susurre t-elle...
Bien Madame.
Quelques minutes plus tard, sac de voyage en bandoulière remplit à la hâte, carte vitale, carte de prévoyance, elle ouvre la porte aux deux hommes.
Je suis prête Messieurs.
Bonsoir Madame, les sapeurs-pompiers... Les sapeurs-pompiers pour les calendriers de fin d’année...
Co... Co... Comment ?
Les sapeurs-pompiers Madame pour...
Vous êtes là pour...pour les calendriers...
Oui Madame. Quelque chose ne va pas Madame ?
Non... Non. Excusez-moi. Je... J’avais la tête ailleurs.
Nous pouvons repasser.
Non. Non, je vous en prie. Entrez, entrez donc...
Elle tombe sur un calendrier couverture paysage automnal, couleurs fressure. Elle griffonne un chèque de 50 euros. Ils échangent quelques mots : le métier, porter secours aux gens... Et ils se quittent. La porte d’entrée se referme. Elle écrit une courte lettre. Nous savons tous un petit morceau de cette lettre... Les pompiers, passant par le parc, saluent la générosité de la jeune femme. Ce n’est pas tous les jours...
Ils voient alors, du 13e, et au cœur de l’hiver, un papillon blanc s’envoler... Cogne soudain ; le bruit sourd d’une chair qui cogne.