Je marchais dans les rues de la capitale, lentement. J’aimais observer cette fourmilière de béton et d’acier. La place Saint Michel n’était pas loin et la foule se densifiait.
Arrivé sur les lieux je continuai ma route et heurtai une personne. Elle s’excusa et repartit de suite. J’avais senti quelque chose se glisser dans une de mes poches et je posai ma main sur cet objet, un téléphone portable. Pendant que je traversais le pont, j’appelai le seul numéro enregistré. On me donna une adresse puis je jetai l’appareil dans le fleuve.
Trente cinq minutes après, j’étais seul avec mon frère Mathieu devant un restaurant miteux dans un endroit très peu fréquenté au fond d’une voie sans issue...
Je pénétrai dans l’établissement et salua la première personne que je vis. Celle-ci s’adressa à moi avec le visage angoissé.
« - Bonjour Pierre. Prenez ce couloir et ouvrez la troisième porte à droite.
- Je ne m’appelle pas...
- Maintenant vous vous appelez Pierre, votre ami Marc et aussi pendant la transaction. Vous allez parler à George et à Steve. »
Mon frère et moi empruntâmes le couloir et entrâmes dans la pièce indiquée. La lumière était faible et la salle grande. Deux hommes en costume et lunettes noires nous faisaient face avec une mallette posée sur la table. Ils invitèrent leurs hôtes à s’asseoir avec un fort accent russe.
J’observais mes deux interlocuteurs avec minutie. Le plus grand, qui était debout, cachait un uzi, sûrement de fabrication israélienne, sous un large manteau en cuir. Le petit gros assis ne dissimulait pas son équipement, un Beretta 92FS neuf.
« - Quel est votre marchandise et votre prix Pierre ?
- J’en ai pour trois millions de dollars. Le prix courant bien sur et en plus c’est d’une excellente qualité. Alors George ? Ou Steve ?
- George. »
Mon frère était tendu, il n’aimait pas ce genre de commerce mais je voulais une personne de confiance avec moi. Je ne savais jamais comment cela pouvait finir. J’étais suivi par plusieurs polices mais ils n’avaient pas trouvé de preuves suffisantes jusqu’à présent.
« - Je suis intéressé Pierre. On m’a dit du bien de vous. Quelles sont vos conditions pour le transport et les petits détails ?
- Les navires partiront de New York. On fera des faux papiers pour le départ. On fera une escale dans un port anglais où on brouillera les pistes avec de nouveaux papiers. Puis direction Saint Pétersbourg où on déchargera.
- Vous n’avez jamais eu de contrôle ? Les papiers ne sont pas bien vérifiés ? C’est assez difficile de partir d’Amérique sans se faire un peu fouiller...
- J’arrose les administrations. Ce trafic est publiquement combattu et il y a trop d’argent en jeu pour l’arrêter. Tout le monde est complice. Pour le transport, je cache ma marchandise derrière des denrées pourris ou du souffre par exemple. Aucun douanier ne fouille cela. Sinon on peut changer le nom du bateau en cours de route.
- Vous êtes très malin. Je vous paie à la livraison comme convenu. »
Je vins de sourire à ces paroles et mon frère me glissa quelques paroles à voix basse. Il voulait que j’arrête ce commerce illégal tout de suite. Mathieu savait tout ce qu’impliquait cette vente. Ils allaient même en donner aux jeunes et les enrôlaient dans cela. Un nombre revenait sans cesse sur ses lèvres, cinq millions. Ce que je vendais faisait cinq millions de morts par année. La sous alimentation n’en faisait que trois millions, les pratiques sexuelles dangereuses seulement un million sept cent mille et l’eau non potable un petit un million trois cent mille. Je n’étais pas responsable de ces morts et c’étaient eux. Eux seuls choisissaient d’acheter mes marchandises et de les utiliser. Tout le monde savait que ces choses tuaient. Le système survivait grâce aux sommes d’argent faramineuses drainées. Les gouvernements et les entreprises étaient toutes coupables, mais pas moi. Les Etats-Unis, le Royaume Uni, la Chine, La France... Je n’étais qu’un simple intermédiaire qui servait à faire des bénéfices en contournant les lois. Chacun y gagnait dans ce système.
Je serrai la main de mon acheteur malgré le visage énervé de mon frère. Mon métier, c’était marchand, la morale n’avait rien à faire la dedans. Chacun choisissait son destin et sa vie. Il fallait prendre ses responsabilités. Je cachais toutes mes activités à ma famille et je mentais sur l’origine de mes revenus. Marchand était le métier pour lequel j’étais le meilleur, et seulement pour un produit particulier. George me souhaita un bon voyage et une bonne journée, je lui répondis avec sourire : « Merci beaucoup, vous aussi. Vous avez fait le bon choix. Vous aurez vos cigarettes en temps et en heure. »
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