A la recherche des pierres paysages.
A l’ombre de majestueux peupliers d’Italie, nous filons, en direction de Roquefort en Armagnac. Comme souvent dans cette région la route s’enfonce droit vers l’horizon, indifférente à l’idée de toute fantaisie qui se nommerait courbe. Pendant des kilomètres les champs de maïs forcent leurs épis sur des aires à peine lisérées de pins, stoppées net au bord de l’asphalte par la coiffure blonde de graminées encore jeunes et sages. Ici ou là, quelques saignées oranges. Des fleurs inconnues, probablement fugueuses de jardins emportées par le vent.
Entre les troncs de pinèdes à la frondaison vert cendre se devinent les traces de cavale du gibier. Un jeune chevreuil fauché sur le bord de la route se fond lentement dans le bitume déjà chaud, sa robe encore brillante repose à peine plissée de quelques reliefs.
Il y a quelques années, la densité des bois était telle que le ciel en était masqué . Aujourd’hui, tempêtes, incendies, déforestation massive et surtout la culture intensive du maïs ont défiguré ce coin de campagne et ses sous-sols. On ne croise plus que des troncs chétifs promis à un précoce abattage et dont l’acharnement grillage à peine le ciel.
Parfois, dans l’épaisseur encore vierge de bosquets, le regard capture des souvenirs de sauvagerie. Des essences étroitement embrassées dont l’étreinte semble dire la crainte de l’outil qui écorchera leurs racines. Derrière une haie serrée de chênes, quelque chose se passe. Sûrement.
Bas Armagnac. Pays de sable fauve, dont la robe coule dans l’alcool local. Ca et là, posées un peu au hasard dans la végétation plus inventive et luxuriante, naissent de vraies fermes landaises, longs triangles isocèles à l’auvent de torchis et aux colombages vineux. Ici une chapelle romane résiste à la houle du blé mur, là un pigeonnier de guingois au milieu des vignes s’apprête à perdre quelques tuiles encore accrochées à des souvenirs d’oiseaux.
Tout ici se contente du minuscule, tout ici est à l’opposé de notre région du Langonnais où la monoculture viticole, hors cette merveilleuse saison qui précède et suit les vendanges, toute teintée des bleus de travail ou des rouges de la vigne, finit par lasser le sentiment.
Aire sur l’Adour ;
Une enfilade de panneaux publicitaires nous accueille, défigurant les début de relief qui amorce la montée vers les Pyrénées ; Hangars de préfabriqués allongeant leurs couleurs vomitives rivalisent de laideur avec les supermarchés dont la dépense en fanions vantant les soldes atteint des proportions à peine croyables : sensation d’entrer dans une ville assiégée par une armée de papier.`
Riscles : Charmant petit village aux ruelles typées et ombreuses. Il est onze heures, cabas ou panier d’osier rempli des emplettes du jour, le village tout entier frétille sous le regard un peu perdu de vieilles personnes assises au seuil de leur maison à contempler le flot qui passe. Les maisons laissent timidement apparaître les pierres qui les tiennent debout, en lignes docilement posées de galets à peine plus gros que la main d’un petit enfant, lisses et mordorées comme la coquille d’une cagouille un matin de pluie.
Castelnau rivière basse. Comme il me parle ce nom composé qui est déjà à lui tout seul une histoire . On dit ici que c’est la porte des hautes- Pyrénées.
Les arbres se font la courte échelle sur les coteaux déjà plus abrupts qui bordent notre route. J’aime ce patchwork de champs de cultures en terrasses, de jardinets singuliers, qui transforme la nature en une palette un peu désordonnée. L’Adour que nous traversons est déjà bien bas, laissant se sécher au soleil de gros chaos de pierres violettes et grises entre lesquelles flottent des lentisques.
Soudain au sortir d’un virage, le ciel d’un bleu gris sourd déchire plus nerveusement ses limites avec la terre. Nous entrons en Béarn et la chaîne de montagne s’offre, sans que nous puissions d’un bout à l’autre de l’horizon en voir le début ou la fin . La vallée de Pau est si riche et de climat si doux que s’y côtoient effrontément palmiers, Sumacs de virginie et sapins autochtones.
La banlieue de Tarbes est encore davantage que les autres bourgades traversées hérissée de ces accroche désir qui bouchent la vue.
Le centre ville surprend pas la couleur de ses façades, qui vont du jaune d’or au pourpre en passant par toute une variété de teintes chaudes et lumineuses qui ne sont pas sans rappeler certains quartiers de Venise. Les toits d’ardoise serrées en petites plaques rappellent la Bretagne. Le mélange est joli au regard quoique surprenant .
C’est au sortir de la ville que nous apparaît le vieux, le pic de Midi de Bigorre au crâne blanc et muscles verts.
Dans le village de Montgaillard nous sommes enfin presque arrivés. Les maisons aux toits pentus et nez coupé sont de pierres irrégulières, comme si la rivière avait elle -même un peu au hasard déposé là ses galets. Le temps passe sans heurts, entre des fleurs sauvages, centaurées, moutarde, fragiles fleurs des champs penchées vers la route avec une pimpante curiosité.
A Bagnères de Bigorre c’est encore un autre style de maison qui nous accueille, façades pastel roses et volets bleus lavande. La route est tortueuse comme celles qui aiment à courir aux abords d’un gave et celui que nous longeons est tout impétueux... Il caresse des falaises surgies de la rondeur des monts tels ces gâteaux qui débordent du moule
J’aime ce sentiment de fragilité qui me saisit face à la montagne. La route qui s’enfonce devient un vrai sentier de patres, bordée d’à-pics effrayants et attirants à la fois car on devine tout au fond la fraîcheur du ruisseau vers la source duquel nous montons.
Enfin Sainte Marie de Campan.
Village médiéval et tranquille, dont la seule attraction est la présence devant chaque seuil et dans les jardins de mounaques, poupées de chiffon grandes comme des adultes, a l’inquiétant visage immobile et cireux. Je me demande pourquoi on essaie de me faire peur avec ces poupées qui remplacent les vivants sur les trottoirs et les bancs. Tradition locale.
Nous remontons jusqu’au bout de ce bout du monde et nous installons près du ruisseau.
La recherche des cailloux commence, pour ma part, j’entreprends la fabrication d’un arc, il me manque le bon bois, les bonnes herbes mais on fera avec ce qui se trouve sur place. Quiétude jusqu’à cinq heures lorsque redescend un troupeau qui avant de regagner l’étable vient se rafraîchir. La vache fait au moins 60 têtes, et je ne compte pas les veaux. Elles sont poussées au train par trois taureaux dont un parfaitement mur et excité, mais qui pour l’instant ne nous prête guère attention.
Les vaches sont d’une joliesse indicible, leur robe banane à peine mure uniquement ornée de ce cerne noir qui entoure leurs yeux. Elle semblent assez douces pour supporter notre présence mais bientôt, il leur apparaît que le gazon sous notre pique nique est bien plus riche et savoureux que celui qui se loge sous leurs sabots. Une vache de compagnie c’est fort agréable, 80 bêtes, cela donne très rapidement un sentiment d’étouffement. Marie, la compagne de mon fils et moi n’aimons pas du tout la manière dont le plus jeune taureau s’est engouffré dans un genévrier sur notre droite et nous observe en silence. Nous voilà toutes deux transformées en rambo femelles, rampant sur le ventre sous les branches basses de sapin pour regagner la route une centaine de mètres plus haut mais sur une pente très raide. J’ai vu de loin ces bestioles grimper la montagne à flanc, je ne ferai pas le poids si l’une d’elles me coursait, je me fais petite et d’autant plus que le sol est jonché de chardons qui n’ont qu’une envie : me goûter eux aussi....
Nous remontons toutes deux entre une haie d’honneur de vaches, le taureau dans la ligne de mire et lorsque suffisamment loin de la bête, nous mettons debout. La compagnie d’en bas qui nous la jouait « on ne craint rien, commence à repérer l’énervement des animaux à des mouvements de tête lesquelles sont passablement cornues, et surtout quelques signes d’agacement qui ne trompent plus personne : quelques bêtes grattent le sol de leurs antérieurs... Tout le monde rapplique.
Je ne me sens pas très fière de moi sur ce coup-là, mais tout comptes fais, je préfère encore me trouver face à un jeune puma de trente kg qu’un bovidé de trois cent.
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Nous finirons l’après-midi en deux groupes, je reste avec les « jeunes » au bord de l’Adour, et nous y trouverons des pierres délicates de marbres tricolores, des maisons qui ressemblent à des tranches napolitaines, du bois flotté, et surtout un calme, ce calme qui accompagne le chant de l’eau vive et me rappelle à chaque fois la délicieuse chanson de Fauré « au bord de l’eau »...