Usumbura, capitale du Rwanda-Burundi, se plaît aux contrastes, et le prouve, lorsqu’elle vit aussi bien en montagne qu’en bordure du lac, ou en plaine.
"Que le voyageur commence par la montagne", c’est le conseil que lui donne la ville, qui veut se faire admirer au plus vite, et sans rien laisser perdre de ses charmes.
La montagne... sans doute... mais dès les premières centaines de mètres, vous pouvez vous retourner, et déjà la ville s’offre à vous, presqu’indécente.
Lac mauve ou gris ou bleu, suivant l’heure et son humeur, mais vaste et qui semble provisoirement installé entre deux chaînes de montagnes dont les versants en pente douce sont léchés par ces lames inoffensives...
Jusques à quand ?
Peu d’habitations le long du lac Tanganyika, et c’est peut-être dommage, mais qui sait si dans une décennie tout ne sera pas bâti, sur ces plages faites pour y prendre l’air vers six heures du soir, l’heure éblouissante où toute l’Afrique donne le meilleur d’elle-même.
Mais continuez votre ascension, grimpez sur la colline (il y en a mille) que vous avez choisie pour vous servir de guide et le panorama s’élargissant vous dévoile à présent le port et le quartier industriel. Plus à l’Est, au-delà des arbres qui vous bouchaient la vue, voilà toute la cité du centre extra-coutumier à l’orée de la grande plaine de la Ruzizi.
Ruzizi, dont le nom chante à l’oreille et qui, ample et généreuse jusqu’aux contreforts de Bukavu, laisse parfois encore au chasseur, quelques chances de trouver le grand frisson.
Encore une centaine de mètres et voilà tout Usumbura avec ses toits rouges qui montent à l’assaut des collines verdoyantes. Surprenant contraste, dérisoire combat de la modernité et de l’éternité.
D’où vous êtes maintenant, vous voyez la diversité des paysages, le lac qui s’en va vers Rumonge, vers Ujiji, vers Albertville, vers le Tanganyika Territory, la Ruzizi qui s’étale à la rencontre du Kivu et les maisons qui jouent à reproduire toutes ces couleurs, qui s’échelonnent jusqu’à vos pieds de maître du monde (ou au moins de la vallée).
Derrière vous d’autres maisons sont accrochées dans la verdure et vous voilà dans un village comme il en existe dans vos pays de haute Europe, tandis que devant vous s’écoule le deuxième lac africain, dont les profondeurs, presqu’aussi imposantes que celles du fameux lac Baïkal, recèlent une faune et une flore dont les savants hydrobiologistes ne connaîtront jamais toutes les richesses.
(ndla : le lac Tanganyika est le plus long au monde : 677 km, de Lille à Montélimar, avec des berges séparées de 22 à 80 Km et une profondeur maximale de 1.433m, soit 642 m sous le niveau de la mer. L’eau était si claire qu’on voyait à 25m de profondeur).
Sur la colline d’où vous contemplez le paysage de la création, vous vibrez d’impressions remontant du passé, vous ressemblez fort en ce moment à ces hardis découvreurs de territoires interdits devant le spectacle de leurs nouvelles conquêtes, car il y a septante ans, la brousse triomphait encore. Mais il vous faudra faire un gros effort d’imagination pour oublier qu’il n’y a pas toujours eu à Usumbura, ces villas aux murs teintés de blanc, de terre de sienne, de crème ou de vert tilleul.
Nous sommes le 20 mars 1958, je fête aujourd’hui fièrement mes quatre ans, c’est la première fois que j’accompagne mon père.
La mort à cela de magique qu’elle donne accès aux mondes parallèles, au voyage dans le temps, mon père est revenu là, sur son promontoire préféré, il est là, serein, il refuse de quitter son refuge avant de s’être rassasié une dernière fois du coucher du soleil qui lui verse, depuis les montagnes de la berge opposée du lac jusque dans le cœur, son filtre enflammé.
A ce moment là, à ce moment là seulement,
il sait que l’Afrique est encore aux mains de sorciers...
Je te remercie, très cher Papa, de m’avoir initié ce jour là à toute cette magie là...