Mercredi, visite à Bordeaux... Il faut bien que je fasse plaisir à ma pitchounette de seize ans, alors que je crains par-dessus tout la foule et ses mouvements qui vous enserrent d’un étau fluide, souple mais sot au possible, alors que je hais les boutiques de fringues et que Mathilde y passerait ses jours et ses nuits et surtout que je n’avais rien à y acheter...
Mathilde trouvant le train trop démocratique pour elle j’ai donc pris la voiture., passant outre ma peur bleue de conduire en ville. Sortie de l’autoroute, je me suis garée en banlieue, à Talence, là où j’étais sûre de trouver une place. Nous voilà donc toutes deux attendant le bus à l’arrêt le plus proche. Dix, vingt :minutes passent, nous laissant interdites dans une délicieuse brise.
Tout à coup je réalise que le tram a peut-être bien remplacé le bus. Nous marchons donc en direction de la station, trois bons kilomètres, et croisons en chemin un autre panneau de bus sous lequel attend une dame âgée, assez énervée ma foi. Le panneau indiquait d’une écriture assez rageuse : « Arrêt provisoire de l’arrêt précédent »... La situation commençait à me plaire. La dame faisait les cent pas car, elle, attendait depuis une demi- heure et je me prenais à rêver d’être venue à la grande ville pour espérer jusqu’au soir sous un panneau factice le passage d’un hypothétique autobus. Il finit par nous arriver, ouvre ses portes et le conducteur nous jette : « Je ne suis pas en service, allez prendre le tram »...
Mathilde, les oreilles enfoncées dans ses écouteurs et la mine renfrognée finit par admettre qu’il nous faut marcher encore un peu.. Miracle, nous parvenons à la station sans nous perdre.
Et nous asseyons avec le sentiment du devoir accompli et d’une juste récompense qui ne saurait tarder. Tout à coup, je m’avise que je n’ai pas de billet.
-Monsieur, demandai-je à mon voisin sur le banc, combien valent les billets pour monter dans le tram ? »
-Ah, j’sais pas, c’est ma femme qui les achète, faut voir avec l’automate. »
Vogue la galère, je me lance vers l’automate en question, rentre ma carte bleue... automate hors service pour les cartes bleues.
Mathilde pousse des soupirs dignes du Théâtre français pendant que je rigole toute seule de cette équipée qui depuis une heure nous maintient dans cette bonne ville de Talence, heure que nous eussions mise bien plus intelligemment à profit pour rejoindre le centre de Bordeaux qui se trouve à ce temps là précisément de marche à pied.
Un grand jeune homme me voit alors, hésitant entre le rire -de- cette -mésaventure et le pleurer-de cette- mésaventure, et vient à mon secours en me disant « Moi non plus je n’y comprends rien, il n’accepte pas les cartes bleues, il n’accepte que les cartes prises à la centrale, mais avec de la monnaie, si vous avez de la monnaie... »
Hélas je n’en ai pas.
Enfin, comprenant que sans son intervention héroïque elle n’arrivera jamais dans ses magasins de frippes, ma pitchounette condescend à me rendre trois euros sur les soixante seize qu’elle me doit pour ampoules indûment restées allumées dans la maison (un euro par ampoule), et nous voilà enfin munies de nos viatiques, ayant laissé passer trois rames.
Je rentre pour inaugurer le premier tram de ma vie et composte le ticket... à l’envers... la machine me le refuse.
Mathilde me souffle dans les oreilles « Que tu es gourde mets le dans l’autre sens, tu me fais la honte, je ne viendrai plus jamais à Bordeaux avec toi », ce à quoi je lui réponds d’un « Moi si, je trouve ça trop drôle » qui achève de lui faire perdre le peu d’estime dans lequel visiblement elle me tient. Elle me tourne le dos pendant que je cherche à qui je vais bien pouvoir distribuer un sourire pour me consoler... C’est fou ce que je connais de monde, je viens une fois par an à Bordeaux, je prends pour la première fois de ma vie le tram et qui je retrouve ? Une de mes anciennes élèves pas vues depuis des années. Chic, non ? Et voilà que patati patata on discute on rate l’arrêt.
Obligées de revenir sur nos pas pour retrouver mes aînés et leurs compagnons respectifs, cela m’a pris environ une heure trois quart pour faire cinq kilomètres en usant d’un moyen de transport. C’est pas beau ça ?
Mathilde me l’a fait payer...