Elle ouvrit les yeux et tourna doucement la tête, sur son visage se lisait un mélange d’inquiétude et de curiosité. Que faisait-elle au milieu de cet enchevêtrement de métal et de bois… ?
Dans sa mémoire se bousculaient une ribambelle d’images et de questions auxquelles elle ne pouvait répondre. Elle ne savait plus ni son nom, ni ce qui se passait. Elle voyait autour d’elle une multitude de personnes qu s’activaient dans le silence le plus total, leurs lèvres bougeaient, certains semblaient crier, d’autres pleuraient mais elle n’entendait rien…rien d’autre que ce bruit sourd qui lui emplissait la tête et heurtait ses tempes douloureuses jusqu’à hurler.
Elle ferma de nouveau les yeux et essaya de combler les trous noirs qui encombraient ses souvenirs
Voyons : elle était assise là dans le train comme tous les matins, avec Ana et Juan. Et comme tous les matins elle somnolait pendant que Juan bougonnait et refaisait le monde et puis ses histoires de politique l’énervait , « et ce Aznar, el hijo de puta qui nous avait entraînés dans cette maldita guerra etc, etc… », la même chose depuis des semaines !! Au début elle lui avait répondu, sa colère était aussi la sienne, cette guerre n’était pas la leur, ils le savaient tous mais de toute façon, les dirigeants se foutent ce que pensent ceux qui les ont élu. Alors au fil des jours, elle s’était tue et tentait seulement de faire le vide devant les doléances quotidiennes de son ami.
Et puis… rien, plus rien , elle ne se souvenait plus de rien !
Elle se demanda où était le train et ce qu’elle faisait là, allongée au milieu de nulle part, au milieu du chaos. Une femme s’approcha, elle déplia une couverture et la couvrit. Elle lui parlait mais elle ne comprenait pas ce qu’elle lui disait, et puis soudain elle entendit une espèce de rumeur confuse, elle l’entendait…mal…mais elle l’entendait. Non, elle ne souffrait pas, elle avait seulement froid. Non , elle n’allait pas dormir, quelle question !
Ne trouvant aucune réponse à ses interrogations, elle demanda à l’inconnue à ses côtés
- Que s’est-il passé ? Un accident ? Quoi , une bombe ! Non je ne souviens de rien . Où est Ana, où sont mes amis ? Mais, répondez-moi pour l’amour de Dieu !
En tournant la tête de l’autre côté, elle vit le train éventré, tous ces corps allongés et mutilés et ce sang, ce sang partout….
- J’aperçois Ana , je la reconnais. Attention ne lui couvrez pas la tête avec ce drap elle ne pourra pas respirer. Mais il ne m’entend pas celui-là ! Je vais me lever et lui retirer ce truc, on dirait qu’il veut la tuer. Je vais me lever… mais où sont mes jambes ?
La secouriste tenta de la calmer mais rien n’y faisait.
Elle se mit à crier puis à hurler :
- J’ai mal, mon Dieu aidez moi. Mes jambes, mais où sont mes jambes ?
La couverture se tacha de sang…..
La mémoire lui revint, elle se signa et murmura :
- Je m’appelle María …j’étais dans le train et puis… il y a eu tout ce bruit, ces cris, ces pleurs. Je m’appelle María, j’ai 40 ans …Je m’appelle María et je suis vivante…vivante…vivante.