Ma pauvre tête. 2

« Tes pantoufles ». Une folle envie de mettre 2 claques à cette demeurée en bigoudis qui m’apostrophe sitôt franchie la porte. Au contraire de quoi je me penche sur elle et dépose délicatement un baiser dans son cou. « Bonsoir, chérie ». Chérie ne m’a pas attendu pour le dîner, elle est avachie dans le canapé et regarde la télé en dévorant son menu favori : pizza-coca. « T’as vu qui passe chez Mireille Dumas ? Michel B. ». Je jette négligemment un coup d’œil en direction de l’écran et là, j’ai un choc, comme un uppercut en plein visage, je vacille.
« Oh, toi, tu es encore passé faire une escale chez Marcel avant de rentrer. Va donc prendre une douche ». La diversion me convient, la douche, en effet, que rêver de plus salutaire. Ah, si au moins je pouvais me débarrasser de cette seconde peau qui n’est pas la mienne, qui me rend odieux à moi-même. Ma tête est le siège d’un mauvais théâtre. Je suis celui qui le joue sans jamais pouvoir sortir du décor ni même faire taire le personnage vulgaire et grossier qui ne cesse de s’exprimer à ma place.
Eh bien, oui, j’y suis passé chez Marcel. J’ai découvert que j’y avais des copains. Alors que je n’ai à la pensée que la préoccupation du dernier sondage publié par l’Express, voilà que je leur parle de la mauvaise performance de Porcelaine d’Echine dans la dernière course de Longchamp. Voilà que je ris à des calembours éculés et que je remets ma tournée d’un infect blanc sec. Moi qui gravite dans les sphères de la haute finance, voilà que je calcule si j’ai vraiment de quoi l’offrir, la tournée, vu qu’on n’est encore que le 21 du mois. La main de Dédé qui me serre la cuisse m’est une douleur insupportable, je suffoque quand Marcel promène devant mes yeux son nez boursouflé d’alcoolique et ses dents jaunies. Et je n’ai d’autre issue que de rentrer ensuite pitoyablement m’asseoir auprès de Mémène pour endormir ma douleur en ingurgitant son programme télé soporifique.
La douche m’a fait du bien, je me sens presque gaillard. Allez y comprendre quelque chose, mes yeux s’arrêtent sur la lourde poitrine qui tend le T-shirt Fruit of the Loom. Moi dont les mains raffinées aiment à agacer les petits seins des starlettes en quête de célébrité, à dessiner la carte du tendre sur les ventres irréprochables de call-girls. Je n’ai pas un instant de dégoût quand je m’assieds à côté d’elle, j’ai des picotements d’excitation quand ma main commence à glisser sur sa cuisse.
« Eh, ce soir, tu me fais pas chier, d’accord » Mémène s’est retournée brutalement, elle vient de me mettre un violent coup au plexus avec le goulot de sa bouteille de coca. Mes yeux s’arrondissent en un Ô accent circonflexe, cependant que ma bouche, elle, s’arrondit en un O muet.