Il joue avec quelques cailloux qu’il rattrape sur le dos de sa main après les avoir fait jaillir de sa paume. Petit brun aux yeux trop grands, son regard très sérieux fixe les modestes pierres grises qui s’envolent vers le ciel infini, comme ses rêves. Un béret sur la tête, un pantalon trop grand retenu à la taille par un bout de ficelle et un vieux gilet marron tout troué aux coudes, il attend son père.
Un matin, il l’a vu partir avec d’autres personnes vers le grand hangar sombre entouré de barbelés, il l’a appelé et a couru vers lui. Son père l’a embrassé comme il ne l’avait jamais fait, en le serrant tout contre son cœur qui battait si vite, et puis il l’a repoussé en lui disant de faire tout ce que la vieille Anna lui dirait.
Alors il a obéi et pourtant il ne l’aime pas Anna, ses bras sont trop maigres et quand elle le serre contre elle, ses os lui font mal et puis un jour il a vu qu’elle mangeait des cafards et le pire c’est qu’elle l’oblige à le faire aussi, pour les protéines comme elle dit. Mais lui, il s’en fiche des protéines, il voudrait seulement que son père revienne.
Parfois il voit passer des groupes d’hommes et de femmes encadrés par les militaires et puis la grande cheminée crache sa fumée noire et épaisse, qui sent si mauvais...
Aujourd’hui Stanis a 70 ans, quand il regarde l’heure, il se revoit enfant au cœur de l’immonde et de l’indicible, quelques numéros tatoués sur son bras sont là pour lui rappeler que son père n’est jamais revenu ...