Le peuple s’était exprimé. Espejo deviendrait Empereur de Zama.
Au moment où le tout puissant soleil tomba dans la porte de l’ouest et entra dans le monde inférieur, heure où comme chaque nuit il devenait le terrifiant Jaguar, le vieux monarque s’allongea sur sa couche, brisé de désespoir et épuisé.
Le Ahau s’endormit et son sommeil fut agité, peuplé de diables barbus qui, juchés sur d’étranges créatures démoniaques, dérobaient, massacraient les hommes, tuaient les enfants et violaient les femmes pour les ensemencer de leurs graines immondes. Il vit aussi son peuple à genoux entamant sa longue descente vers Xibalbá, l’enfer des hommes.
Alma veilla son père toute la nuit, écoutant ses délires et épongeant son front avec cette douceur et cette attention résignée et discrète qui le caractérisaient.
Quand l’aube se leva, dans un dernier soupir, le vieil Empereur rejoignit enfin le cénote avant de renaître dans le Monde Céleste afin de rejoindre le panthéon divin.
Son corps fut incinéré dans la journée comme le voulait la tradition et le grand prêtre dispersa ses cendres dans la mer pour que son âme enfin libérée se sublime et fertilise l’univers de sa sagesse. Dans la cité, le deuil avait déposé dans le cœur de chacun un voile de tristesse et pourtant tous savaient que cette nuit une nouvelle étoile s’allumerait au ciel et veillerait sur la ville.
Le lendemain, Alma rassembla quelques objets chers à son cœur et suivi de ses fidèles prit le chemin de l’exil mais une lueur étrange sur la mer l’intrigua et il ne put s’éloigner des murs de la cité aussi loin que son âme éperdue de repos l’aurait voulu. Il escalada une petite colline qui surplombait Zama et attendit un signe du ciel. Sa tristesse était immense mais il ne montrait aucune colère ni aucun ressentiment à l’égard de son peuple, son visage s’était simplement assombri un peu plus encore et son regard était mort de trop de regrets. Il n’en voulait à personne, seulement à lui-même. Si seulement il avait su exprimer cet amour qui le liait à ces hommes et à ces femmes, cette envie viscérale de les protéger et de se sacrifier pour eux, si seulement….
Espejo ne donnait rien et recevait tout, Alma donnait tout et ne recevait rien. Telle était la loi en ce bas monde et il devait s’y soumettre.
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Dans la cité régnait depuis l’aube une effervescence extraordinaire. Le grand prêtre avait donné l’ordre de préparer la cérémonie qui devait introniser Espejo et le marier à la belle Xma. Les femmes vêtues du huipel disposaient sur les tables de pierre les jarres de balché dont les hommes s’abreuveraient après le pok-a-tok et se saouleraient. Sur l’autel des sacrifices, étaient disposées des offrandes de toute nature autour desquelles se déroulerait le rituel du sang qui scellerait l’union.
Le soleil était à son zénith quand débuta la cérémonie, la foule s’était rassemblée devant la grande pyramide pour célébrer son nouvel Empereur. Au son de la marche royale, Espejo,vêtu de blanc, solennel et superbe gravit une à une les marches qui le séparait du pouvoir.
Au sommet il s’agenouilla et le maître déposa la couronne sur ses cheveux de jais. Quand il se releva se tournant vers son peuple, sa beauté et sa majesté subjuguèrent les hommes qui se courbèrent en signe d’obéissance et de respect.
Mais soudain la corne d’alarme retentit, une vigie venait d’apercevoir à quelques encablures de la cité, une haute voile blanche qui se dirigeait vers la baie turquoise. Tous se précipitèrent vers les postes avancés craignant une attaque mais ce qu’ils virent les désorienta. Des bateaux comme ils n’en avaient jamais vu se dirigeaient vers eux majestueux tels d’immenses oiseaux qui fendaient les flots puissants. Leur coque était imposante et noble et des oriflammes colorés claquaient au vent comme des messagers ailés.
Un frisson parcourut la foule hésitante agglutinée sur la plage. D’abord murmure puis clameur une nouvelle s’enflamma comme une traînée de poudre : « La prophétie est en marche, Quetzalcoatl revient pour nous châtier ou nous récompenser ». Les hommes s’écartèrent pour laisser passer Espejo accompagné des prêtres de la cité. Il se devait d’accueillir avec égard et déférence les hôtes prestigieux qui s’annonçaient. Les embarcations mouillèrent à une centaine de mètres de Zama et des personnages portant de longues barbes noires et de lourds vêtements accostèrent. Espejo s’inclina devant eux, intimant ainsi à son peuple l’ordre de se soumettre .
Tous se prosternèrent en signe d’obédience.