Une nuit, Alma se réveilla, le corps ruisselant de cette sueur froide qu’il connaissait si bien et qui faisait naître en lui les angoisses les plus profondes. Il attendit longtemps l’aurore, debout près de la grande pyramide, la gorge nouée, la peur au ventre. Mais à l’heure où normalement le ciel se pare de bleu et de rose, de lourds nuages d’ombre et de ténèbres encombrèrent les nues. Alma ressentit un trouble inaccoutumé, il dirigea alors son regard vers les cieux et y lut le courroux. Ah Kinchil, le Dieu du soleil venait de défier Chaak, maître absolu des pluies et du déluge et Zama serait le terrain de leur conflit.
Empli de cette prémonition terrifiante, il courut vers la cité afin d’alerter son frère et son peuple du fléau à venir.
Dans l’air flottait le vent de la colère et les arbres frémissaient déjà sous les assauts des éléments. Mille bruits inquiétants l’entouraient, des voix surgies d’outre-tombe murmuraient les sombres incantations de l’apocalypse, des visions de morts l’assaillaient.
Dans les champs aux reflets d’or, les épis de maïs baissaient la tête, se courbaient, se couchaient pour enfin se briser en heurtant le sol et laisser éclater les tendres semences.
Quand enfin il atteignit la ville, il trouva Espejo entouré des hommes apeurés et hagards, serrant dans leurs bras inutiles les femmes et les enfants en pleurs.
Ils regardaient sans bouger les promesses d’abondance se mourir à leurs pieds. Espejo ordonna à son peuple de se mettre à l’abri « le temps », dit-il « que la rage des dieux s’apaise ».
Par bonheur, Alma se prit l’âme d’un chef et commanda à tous de ramasser et d’ensiler les grains. Les yeux se tournèrent vers le bel Espejo que chacun considérait déjà comme l’élu. Celui-ci hésita quelques secondes mais leur intima l’ordre d’obéir à son frère. Sous un déluge de pluie, de grondements et d’éclairs menaçants qui déchiraient le ciel, le maïs fut rassemblé, séché et mis à l’abri.
Le soir, les hommes épuisée mais rassurés remercièrent Espejo leur sauveur. Alma se tut.
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Le duel divin dura cinquante jours et cinquante lunes, isolant la ville du reste de l’empire. Puis un matin, enfin, les nuages s’écartèrent pour laisser place au soleil. Ah Kinchil avait remporté la victoire et Chaak vaincu se retirait pour panser ses plaies.
La cité recommença à vivre, étourdie par la douceur de l’air et éblouie par l’éclat du soleil.
Le vieil empereur quitta son palais pour contempler l’ampleur des dégâts provoqués par le combat des divinités.
La terre avait été dévastée, ravinée par les torrents de pluie et le vieil homme trembla en voyant les pierres effondrées du mur d’enceinte. Mais en pénétrant au cœur de la ville il vit des enfants qui couraient et riaient. Son cœur soulagé s’émerveilla devant ce spectacle. Les hommes s’étaient remis au travail, relevant les remparts, remettant les champs en état , reconstruisant les routes où de larges sillons s’étaient formés, les femmes tentaient d’effacer les traces de la lutte.
Mais il sut aussi que l’heure du choix était venue.
Devant la foule rassemblée il ordonna à ses fils de choisir une épouse digne de porter leurs enfants et cinq hommes vaillants qui seraient leurs gardes et serviteurs. Espejo hésita longuement, dévisageant chaque homme et chaque femme comme si jamais il ne s’était rendu compte qu’ils existaient.
Alma nomma immédiatement et sans hésitation les cinq guerriers qui l’accompagneraient, c’était des hommes forts et robustes qui maintes et maintes fois avaient démontré leur courage. La femme qu’il désigna n’était sans doute pas la plus jolie mais sûrement l’une des plus dignes et intelligentes que Zama vit naître.
L’Empereur sourit s’émerveillant de cette belle connaissance qu’il avait de ceux qui l’entouraient et de la justesse de ses choix.
Espejo se décida enfin, il choisit la plus belle femme de la cité et pourtant quelques rires fusèrent lorsqu’il la désigna du doigt ne sachant comment elle s’appelait et comme serviteurs, cinq hommes qui le suivaient partout, profitant des largesses que naïvement il leur accordait.
Le père fronça les sourcils, attristé. Comment deux fils pouvaient-ils être si différents ?
Il s’apprêtait à désigner Alma, digne successeur de son empire mais l’impensable se produisit. La foule se déplaça et se rangea aux côtés d’Espejo, indiquant ainsi au vieil homme son choix.
Dans un geste désespéré, il leva les bras vers le ciel car il savait que le déclin de son peuple s’amorçait.