Voilà bien des siècles de cela, au bord d’une mer turquoise, se dressait une riche et merveilleuse cité, appelée Zama ou Cité de l’Aube. Sa beauté éclatait aux yeux des voyageurs et chaque jour quand le soleil se levait sur la mer, des myriades d’étoiles scintillantes et irisées semblaient se déposer sur les eaux pures et transparentes.
L’Empereur, un être bon et pacifique, avait toujours su préserver son peuple de la colère des Dieux et des hommes, faisant élever une haute forteresse tout autour de la métropole, la protégeant ainsi des assauts belliqueux des autres tribus.
Sa femme était morte en mettant au monde deux fils en même temps et les ténèbres avaient alors envahi le ciel, voilant le soleil et semant la terreur dans le cœur de la foule.
« Mauvais présage » s’étaient alors écriés les grand prêtres levant les mains vers les nues obscurcies.
Fou de douleur et de colère, le monarque avait gravi les marches de la grande pyramide, portant sa descendance à bout de bras, prêt à sacrifier à Hunab le Créateur le fruit de sa chair, mais le divin astre était apparu de nouveau et sa majesté semblait s’être accrue.
Depuis ce matin insolite, vingt années s’étaient écoulées, vingt années pendant lesquelles son cœur brisé s’était peu à peu reconstruit en regardant ses fils devenir des hommes.
Aujourd’hui, il arrivait au crépuscule de sa vie et il lui fallait choisir qui d’Espejo ou d’Alma serait digne d’endosser la charge d’Empereur. Il avait toujours remis au lendemain cette décision mais, sentant de jour en jour ses forces décliner et ne pouvant se résoudre à jeter dans l’ombre un de ses enfants, il décida de les mêler à son peuple afin que celui-ci puisse juger et élire le futur chef.
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Espejo était un jeune homme charmant.
Sa prestance, son intelligence et son caractère affable suscitaient l’admiration des hommes, qui se disputaient son amitié, et séduisaient tous ceux qui l’approchaient. Sa culture était immense, son savoir éblouissant et son âme resplendissait comme un brasier ardent.
Les femmes l’aimaient en secret, attirées irrésistiblement par son sourire et par son corps d’éphèbe, musclé et félin. Il était si beau que son sourire éclipsait le soleil et ses yeux d’un noir profond envoûtaient les cœurs les plus endurcis. Les nuages, moutons dociles arrêtaient leur course folle, désobéissant à Ku Kul Can, le dieu des vents pour pouvoir l’admirer quelques instants précieux et la rivière se faisait transparence pour capturer la finesse de ses traits lorsque par bonheur il se penchait sur elle pour se désaltérer.
Les pommettes hautes, le front altier et la peau aux reflets d’or ainsi que la douceur qui émanait de lui, ses gestes langoureux et sa grâce naturelle étaient un bonheur pour la cité. Sur son passage, les jeunes filles soupiraient rêvant d’être l’élue, celle qui attirerait le jeune prince dans ses bras et pourtant jamais son regard ne s’attardait sur aucune.
« Pureté » disaient les uns, « innocence » affirmaient les autres, mais tous se trompaient.
Car Espejo était fier et viscéralement égoïste et son sourire ensorceleur cachait une personnalité trouble. Le soleil, parfois s’habille de reflets d’ombre qui taisent son éclat.
Il était remarquable, il le savait, usait et abusait de cet extraordinaire pouvoir de fascination qu’il exerçait sur les autres.
Alma, bien qu’étant le jumeau d’Espejo ne lui ressemblait en rien.
Si Espejo était le jour et le soleil, Alma était la nuit et les ténèbres. Discret, presque invisible, il était insignifiant et aucun étranger n’aurait pu voir en lui un éventuel héritier du grand Empire Maya. Comme si Hunab avait omis de se pencher sur sa couche lors de sa naissance pour éclairer son existence d’un peu de lumière céleste.
Son regard était fade, transparent, sans vie et il gardait souvent les yeux baissés comme si l’aura merveilleuse de son frère l’aveuglait. Il parlait peu et se mêlait rarement aux autres, restait de longues heures replié sur lui-même, lointain et rêveur, ne laissant transparaître aucune émotion, aucun sentiment. Il avait peu d’amis mais semblait aimer cette solitude froide et profonde qui l’entourait.
Il cachait son corps anguleux et chétif sous une ample cape sombre que son pas pressé soulevait quelquefois lui donnant alors une apparence fantomatique et quelque peu inquiétante. Son sourire aussi rare que triste et ses gestes maladroits provoquaient bien souvent rires et moqueries.
De temps à autre, sa pensée se perdait dans la contemplation des cieux, attentif, il interprétait les signes que l’univers lui révélait mais se taisait gardant pour lui les augures bénéfiques ou maléfiques qu’ils annonçaient.
Alma était silence, précaution, méditation et abstraction.
A suivre...