Tac ! Tac ! Elle fait taper l’ongle de son index sur le tube en plastique. Le tube est rempli au maximum. Nous sommes sur mon lit. Moi allongé, je viens de me réveiller. Elle, les jambes repliées, assise sur ses mollets. Elle appuie un peu sur le piston qui sert à faire sortir le liquide : une seule goutte d’air et je mourrais sur le coup.
La piqûre est prête.
Aïe ! Tu ne m’avais pas prévenu ! A peine ai-je le temps de prononcer cette phrase que le liquide se répend et fait déjà effet. Mon corps s’engourdit petit-à-petit. Ma tête fait des bonds et cogne en rebondissant contre des bulles d’eau imaginaires. Comme si on jouait au bilboquet avec. Mon cou s’étire, laissant ma tête se balancer sans que je ne puisse y exercer un quelconque contrôle. Mes bras, mes jambes se pétrifient comme si les muscles restaient contractés en permanence. Je ne sens plus que des picotements dans le ventre et les reins. Ceux du ventre me donnent particulièrement envie de me gratter. Ni mes bras ni mes jambes ne me le permettent. A défaut de pouvoir bouger mon bras, je pourrais trouver un moyen de me coucher sur ma main pour ensuite me gratter mais elle ne fonctionne plus cette main. Mes yeux suivent tout ça avec une attention toute particulière, comme s’ils avaient un feu d’artifice à mémoriser. Ils ne ratent rien. Malheureusement ou heureusement ils marchent toujours eux. Je vois toujours celle qui m’a piqué. Elle me regarde. Elle m’observe. Elle m’épie. Tu m’as bien eu ! Je e sais pas encore ce que tu as eu, mais moi tu m’as bien eu ! Je me permets de sourire encore.
C’est peut-être le sort de l’amour qui sait ? Au bout d’un moment on finit peut-être par s’ensorceler l’un à l’autre et c’est toi qui aurais commencé. Mais là ce sérum est vraiment puissant. Je ne sens plus rien de mon corps, à part ces démangeaisons incessantes au ventre.
Je sens ma tête enfler. Mes reins, eux, ne me piquent plus depuis cinq minutes déjà. Mauvais présage, mauvais pressentiment. Moi je préférerais les sentir toujours un peu, quitte à ce qu’ils se manifestent par la douleur. Au moins je pourrais me dire qu’ils sont toujours là. Ma tête devient chaude. Mon corps est tout froid. Comme si tous les degrés de mon corps avaient abandonné mes membres et mon tronc pour aller s’additionner dans ma tête.
Tu souris. Pourquoi tu souris ? Tu t’attendais à voir ça toi ? Moi je n’ai rien vu venir, je ne comprends pas et je ne sais toujours pas à quoi m’attendre.
Ma mâchoire s’est engourdie. Désormais, plus aucun son ne sort de ma bouche. Mes oreilles n’entendent plus que mon cœur battre de l’intérieur. Une espèce de « boum-boum » sourd, comme quand quelqu’un plante un clou de l’autre côté de votre mur. Mon nez est devenu aussi imperméable à l’air que deux écluses, fermées par Goliath et son frère jumeaux, le seraient à l’eau qu’elles doivent contenir. Mes mains ne servent à rien depuis longtemps déjà. Mon corps lui-même est devenu un poids qui m’assomme et que je n’arrive plus à supporter.
Mon sang a écourté son circuit pour me faire gagner quelques minutes de vie. Il part tout de suite en direction de ma tête, y fait un tour très rapide et revient le plus rapidement possible au cœur, qui n’est plus capable de ne le purifier qu’à moitié. Le battement saccadé que je perçois de l’intérieur se fait de plus en plus lent. Ma tête est de plus en plus froide. Ton sourire de plus en plus large…
Ton poison s’est diffusé si rapidement. Ce que tu voulais avoir c’était moi hein ? Je n’ai rien vu, rien senti venir. Une goutte d’air et je mourrais sur le coup. Toi tu ne voulais pas cela. Tu voulais d’abord me voir souffrir. Je suis mort. Comme j’ai souffert.
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Le serpent de la piqûre.
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