Le maire de Saint-Bonnet, petit bourg de France... comme il y en a tant avait prêté la salle de la mairie pour réunir ces concitoyens, quelques jours avant les festivités de Noël. Toute la population avait fait le déplacement, des grands parents aux bébés et une estrade avait été fabriquée pour recevoir un conteur.
Un conteur ? Non, seulement le docteur Bonfisse qui venait de prendre sa retraite ô combien méritée , après tant d’années consacrées à ses malades. Tout le monde semblait heureux et lui réclamait une de ces histoires dont il avait le secret et c’est ainsi que la mère Denis lui demanda de raconter une histoire de Noël .
Le docteur Bonfisse cherchait dans sa mémoire, répétant à mi voix : “ Un souvenir de Noël ?... Un souvenir de Noël ?... Et tout à coup, il s’écria
-Mais si, j’en ai un et un bien étrange encore ; c’est une histoire fantastique. J’ai vu un miracle ! Oui, mes dames, un miracle, la nuit de Noël.
A peine avait-il prononcé ces mots qu’un rire éclatat dans la salle. Ce n’était pas un rire joyeux d’une personne ravie, non. Ce rire était d’une longueur bizarre qui faisait froid dans le dos. Marie riait, riait et emmenait peu à peu tous les participants à en faire de même, une fois le moment de stupeur passé. Le docteur resta de marbre devant cette hilarité ambiante. Tout comme il était apparu, ce rire s’estompa et Marie s’exclama.
-Un miracle, le docteur a vu un miracle, quel clown celui là. Les miracles n’existent que dans les contes. Arrêtez de boire Docteur cela vous fait délirer.
- Mais, j’en ai vu un , je vous assure ! se défendit-il
-Mon cul, oui ! Dites moi où il est ce miracle . Dans la vie y’ en a pas ! Dans cette vie-là, y’a des enfants qui subissent le froid, la peur, la faim, éternels victimes de guerres imbéciles.Y’a des personnes âgées qui meurent dans l’indifférence la plus totale, des malades qui souffrent et qui attendent la mort avec bénédiction. des disparus , des morts vivants mais il n’y a aucun miracle. Alors fermez là ! Si vous voulez raconter une histoire, ne parlez pas de ce que vous avez vu le soir de Noël ou sinon moi je vais vous en racontez une et, croyez moi vous vous n’en sortirez pas indemne.>>
Le docteur Bonfisse en restait coi, assis sur sa chaise sous les regards ahuris des villageois qui ne savaient plus quoi faire. Personne n’avait jamais vu Marie dans une telle colère . Elle qui souriait d’habitude et dispensait son soutien à tout le monde. restait au milieu de la pièce, le visage d’une blancheur irréelle et son regard , si doux d’habitude avait revêtu une lueur étrange... aux portes de la folie. Elle se tenait droite, en fixant le docteur qui rougissait d’autant .perdant peu à peu contenance et se retrouvant au bord de la syncope. Jamais, au grand jamais, personne ne l’avait vu dans un tel état. Il essaya bien de prononcer un mot mais Marie le fit taire une bonne fois pour toute.
-Docteur, vous êtes plus doué pour dispenser vos soins et encore... Pas toujours . Combien de victimes avez vous faites avec vos potions que tout le monde achète à prix d’or, dans l’espoir de guérir ? Allez, Dites-le moi, combien ? Vous ne savez plus quoi répondre heins ?
Devant l’énormité de ces propos, les gens partirent très vite, abandonnant le docteur aux prises avec Marie mais celle-ci avait fini et le médecin gisait à genoux . Il n’y eut plus de soirées organisées au village pour que le bon docteur y raconta ses miracles. A la place le maire proposa des soirées-cabaret et tout le monde en fut heureux . En tout cas, on ne sut jamais ( ou on ne voulut pas le savoir) le fin mot de cette histoire et quel lourd passif pouvait bien opposer Marie et celui qui resta malgré cet incident le bon et brave docteur de Saint-Bonnet . Et Marie, me demanderez vous ? Qu’est-elle devenue ? La jeune femme a quitté son village quelques semaines plus tard pour la grande ville, je pense, mais personne ne peut vous le confirmer, on ne l’a jamais revue .