Sur l’onde brune où jamais ne se reflète le soleil, une barque dérive bercée par le doux clapotis qui vient heurter sa coque, à quelques centimètres, un bouchon rouge et bleu flotte et parfois plonge en proie aux taquineries d’un silure affamé. Haute dans le ciel, une buse tournoie et son cri déchire le silence comme la plainte d’un enfant apeuré et tremblant.
Sur le rivage peuplé d’arbres immenses, aucune âme ne s’aventure, l’ombre y est trop présente, étouffante, suffocante, c’est le royaume de la nuit, le gouffre du diable.
Il y a environ une heure bravant les interdits un pécheur intrépide s’est aventuré sur les eaux calmes et sombres, riant à l’avance de la pèche miraculeuse qui fera de lui le héros du bourg. Avant, il a longuement observé la surface immobile que même la brise ne semblait pas troubler, les sourcils froncés, réfléchissant en expert au choix de la canne, à l’épaisseur du fil et à l’appât idéal, puis s’armant de courage, il est monté dans la barque et a commencé à ramer.
Au centre du lac, il s’est arrêté et a jeté sa ligne puis il s’est assis attendant patiemment une touche, surveillant du coin de l’œil le flotteur dansant. Prévoyant, il a sorti son laguiole de sa poche et de sa besace un peu de pain et de fourme d’Ambert, il a débouché une bouteille de Châteauguay profitant de la douceur de la matinée.
Quelques instants plus tard, une ombre gigantesque s’est étirée, recouvrant l’étendue et quelques frissons ont parcouru sa peau mais il ne s’est pas rendu compte que le ciel bleu restait immaculé. Il n’a pas eu le temps de voir….
Sous l’onde brune où jamais ne se reflète le soleil, une créature étrange et antédiluvienne s’endort enfin repue après des années de jeûne…