Officiellement, je suis le dernier.
Je me suis connecté ce matin encore sur le C2PM (Contrôle de Position de Population Masculine) pour signaler ma présence et désactiver pour vingt heures la mini bombe qui a été implantée à ma naissance dans mon cerveau avant que la fontanelle ne se referme.
C’est obligatoire depuis la mise au point de la matrice synthétique, il y a de ça cinq siècles. Les femmes n’ont plus besoin de nous pour perpétuer l’espèce humaine qui est désormais uniquement composée de femmes.
Toutefois pour une raison qui n’a jamais été expliquée, environ toutes les deux cent mille procréations il naît un enfant de sexe masculin.
Au début, nous étions systématiquement tués à la naissance afin d’éviter notre prolifération, nous qui avions causé tant de dégâts avec nos stupides guerres.
En constatant que la proportion de nouveaux nés mâles était stable, le bureau de contrôle de la vie, décida de nous conserver en vie pour que l’on puisse servir de cobaye.
Nous étions humains, mais considérés comme moins que rien. Mais avant cela il y a eu une époque intermédiaire, on pensait alors que la bionique allait remédier à nombre de problèmes. On pouvait tout réparer ou presque, malformations, handicap, accidents, c’était le temps des Humach (human machine). On alla si loin que parfois il devenait presque impossible de trouver sur certains humains la moindre parcelle de chair et de sang, mais c’était encore des hommes en leur âme et conscience les deux seules choses qu’on ne savait encore reproduire... Jusqu’au jour ou, l’on créa de toutes pièces une nouvelle génération de machines sur lesquelles ont vint greffer des tissus humains provenant de cultures de cellules souches. Les Machum (machine human) venaient de naitre et très rapidement ce fut le début de la fin. Il devint évident que chaque cellule souche humaine greffée sur une machine était habitée par la conscience de sa nature humaine. De plus en plus ouvertement les Machum revendiquaient leur droit à être considérés comme des êtres humains à part entière et non plus seulement comme des machines au service de la race humaine. Pour preuves les Machum mettaient en avant leur état de conscience et allaient jusqu’à dire qu’ils avaient une âme. ILS, oui, car les Machum quelles que soient l’origine des cellules souches, ne développaient que des caractéristiques typiquement masculines, tels que leurs organes génitaux pour ne citer que ces caractéristiques. Tous les Machum sans exception étaient de sexe mâle, luttant âprement pour obtenir le pouvoir sur les Humach qui petit à petit par opposition se féminisaient à outrance. A leur naissance tous les enfants de sexe mâle subissaient systématiquement une ablation du pénis et la reconstruction d’un vagin et d’un utérus. Il n’existait alors presque plus d’êtres humains naturels. On en conservait et limitait le nombre juste ce qu’il fallait dans chaque clan pour que Humach et Machum puissent continuer à exister. Voilà ce que nous étions devenus, de la chair à machines, élevés comme du bétail et traités comme tel.
La situation entre Humach et Machum continuait à se détériorer, les affrontements se faisaient plus violents au fil du temps et il devenait clair qu’on n’en était plus au stade de savoir qui de la machine ou de l’homme finirait par gagner, mais plutôt quel sexe l’emporterait :
Les Humach de sexe féminin ou les Machum de sexe masculin ?
L’intelligence et la finesse d’esprit contre la stupidité de la force brute, telles étaient les forces en présence avec pour objet de convoitise, nous les derniers humains.
Les réserves s’épuisaient à vue d’œil, car malgré tous les progrès la période de gestation était encore de quelques 18 semaines pour obtenir un produit fini correspondant à la charte internationale du génome humain qui avait fixé les caractéristiques de base de notre race. Ensuite il y avait la période de croissance qui elle aussi répondait à un cahier des charges très strict qui devait être suivi à la lettre sous peine d’avoir un taux de déchet trop important.
Notre population était passée de plus de 7 milliards d’individus à moins d’un million en l’espace d’à peine trois siècles. Il fallait agir d’une manière radicale et urgente, la matrice artificielle venait d’être inventée et l’espèce humaine pouvait désormais se passer des hommes pour procréer. Une paix précaire put s’installer entre Humach et Machum, lentement les matrices firent leur œuvre et la population humaine se remit à croître en ne produisant que des individus de sexe féminin avec un seul enfant de sexe mâle pour deux cent mille naissances. Enfant qui fut délibérément sacrifié sur l’autel de la stupidité masculine. Humach et Machum prirent alors conscience que de moins en moins souvent on avait recours à la bionique et il s’établit un statu quo qui fonctionne encore de nos jours. Les Machum abandonnèrent leurs caractéristiques humaines pour redevenir des machines au service de la FEMME. Toute référence à l’Homme disparut, les femmes avaient gagné la bataille de l’espèce pour sa survie. Les Humach n’avaient plus de raison d’être, elles acceptèrent de ne plus se « réparer » en abusant de la bionique qui ne devait servir que dans certains cas extrêmes.
La paix revint enfin sur terre et le C2PM fut créé afin de réguler la population d’enfants mâles plutôt que de les tuer à la naissance. Les FEMMES avaient cette intuition qu’il fallait en dépit de tout conserver quelques exemplaires mâles pour le bien de toutes…
Tout allait pour le mieux, ou presque, certains d’entre nous devinrent des objets de convoitise et pourvoyeurs de plaisirs oubliés. Nous reprenions le pouvoir lentement mais sûrement et pour éviter toute nouvelle dérive on nous implantait à la naissance cette mini bombe qui s’activait automatiquement et nous faisait exploser si on omettait de se signaler toutes les vingt heures au C2PM. Comportement grégaire ou refus collectif inconscient de se voir contrôlé de la sorte, de plus en plus d’hommes ne se signalaient plus et se laissaient volontairement exploser. Avec un mâle pour deux cent mille naissances, en quelques jours tous les hommes disparurent de la surface de la terre. Tous sauf moi, en attendant une nouvelle naissance d’un enfant de sexe mâle qui ne venait plus. Le dernier décompte donnait cinq millions de naissances dans aucun enfant de sexe masculin. J’étais vraiment le dernier.
Je viens d’avoir vingt ans, le C2PM a décidé de me retirer la bombe implantée à ma naissance et on m’a choisi une compagne pour que ma vie soit la plus agréable possible. On m’a même donné un nom à la place de mon code d’identification.
Adam, je m’appelle Adam, je suis le premier HOMME.
Elle m’a dit se prénommer Eve.