Dans le calme sauvage du petit potager, large tablier vert et bottes brunes, je frappe durement la terre. Dans un fracas épouvantable, l’oignon glisse sur le fer de la pioche et s’échappe sous la feuille protectrice des blettes qui frémissent de peur. Au péril de mes reins, ma main habile saisi le fugitif, qui sans ménagement va derechef rejoindre le panier à légumes. Quel bel oignon pour mon rôt de demain !Sur de sa puissance, mon épouse, d’un geste magnanime pose sur sa table, les champignons, courgettes et carottes qui accompagneront le rôti.Plaquant sans ménagement, le bulbe sur la planche, le couteau de Marie entame la chaire vive. La chose se défend et distille.Le rimmel coule sur les joues de ma belle, deux larges traînées noires transforment le visage angélique. Poussant son avantage, l’échalote détourne la lame, qui s’en ménagement s’en va entailler le joli doigt, la goutte perle le dextre, le sang impur abreuve le sillon.Saisi d’effroi l’observateur que je suis, comprend que la bataille sera sans merci.Nonobstant la blessure, ivre de sa rage, l’humiliée termine le lamellage.L’huile d’olive commence à crépiter quand n’écoutant que son courage, la cuisinière verse l’éminceage. Le récalcitrant ne rougit pas, de blanc sa pâleur vire au translucide. Un oignon disséqué ne meurt pas, il se transforme en armée qui canonne tout azimut des gouttelettes brûlantes. L’huile vierge, pustule avec éclat le visage et les bras de l’ennemie bornée.Le combat vire à l’apocalypse, dans une clameur de dentiers entrechoqués, la cuillère de bois de la sorcière touille et retouille l’armée oignonière.C’est certain, un oignon ne capitule jamais. La riposte est cinglante, tentant une ultime manœuvre, le légume met le feu à la casserole, la flamme salvatrice s’élance vive dans l’air, consacrant notre héros martyr de la résistance culinaire.Sans peur, sans reproche, sans haine, saluant l’adversaire Marie soulève la poêle en maudissant l’hiver qui lui a fait fermer les fenêtres.Sous l’eau du robinet, le combat cesse faute de combattant. Sur le champ de bataille ravagé, Marie invaincue, un torchon à la main nettoie sa poêle et ses fourneaux.Les grandes douleurs sont muettes, c’est en silence je pleure sur mon rôt perdu.
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La révolte de l’oignon.
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