Le soir peu à peu se dépose sur la plaine déserte.
La rosée, goutte à goutte, perle en hématie diluée et abreuve la terre assoiffée. L’obscurité n’est pas profonde et l’on discerne en ombre chinoise une silhouette voûtée cheminant au hasard. Hagarde, son errance dessine une danse étrange, macabre et envoûtante, sorcier vaudou d’une tribu invisible. La lune, à mi-chemin entre l’humus et l’infini, semble veiller de son regard tranquille le silence pesant qui entoure l’étendue immobile.
Il y a quelques heures encore, le bruit, ou plutôt le fracas et le chaos régnaient en maître ici. De la lutte sans merci, arbitrée de main de souveraine par la camarde rouge gantée de boue, il ne reste qu’un spasme de sanglot. Entre plaintes et hurlements, combat épuisant de guerriers accablés sous les ordres de chefs sans ardeur, le jour s’en est allé comme se retire la mer de la grève comblée. Puis lentement comme le blé ploie sous les assauts de la faux, l’un après l’autre ils se sont couchés sous le coup des fusils et des baïonnettes, cédant la place au vide.
Le soir peu à peu se dépose sur la plaine déserte.
Mais un cri soudain s’élève vers les cieux voilés déchirant la quiétude de la terre apaisée. Seul survivant de cet odieux massacre, ivre de néant et de solitude, il clame à la lune sa honte et sa douleur d’être vivant.