Depuis notre naissance jusqu’à la fin de l’Aventure, nous parcourons les escarpements d’une rive de ce canyon, en quête de savoirs. De la rive gauche (cas de figure pour les droitiers) nous observons les parois abruptes de la falaise qui nous fait face. Nous l’examinons en détail, quand le soleil l’éclaire et les moindres anfractuosités, les plus petits arbustes nous deviennent familiers. Nous apprenons leurs noms, leurs caractéristiques en même temps que nous mettons ces observations en relation avec l’état des filets d’eau, des cascades ou des chutes qui les irriguent. Les roches ocres, les minces filets de terre opposent leurs teintes rouges au vert de la végétation juste en dessous du bleu écru du ciel.
Les découvertes s’affinent dès l’enfance, les questions se font plus exigeantes à l’adolescence et deviennent lancinantes à l’âge adulte. Les sciences, la philosophie et les arts nous questionnent et nous renseignent.
Pendant ce temps toute la falaise de rive gauche échappe à nos investigations. Elle reste dans l’ombre et constitue le quotidien de notre inconscient même si nous en repérons quelques bruits : le sifflement d’une marmotte ou le départ d’une buse.
La nature nous a tout enseigné : l’inanimé et le vivant. Sur notre rive, le bâton de pèlerin bien en main, nous avons rencontré des hommes dont nous avons beaucoup appris.
Falaise rive droite éclairée et enseignante, falaise rive gauche invisible, source de mille questions et génératrice de rêves insensés.
Mais...
Ce que j’entends, je l’oublie
Ce que je vois, je m’en souviens
Ce que je lis, je le retiens
Ce que j’écris, je le connais
Ce que j’enseigne, je le maitrise
Ce que je fais, je le possède...
J’arrive bientôt au bout du chemin...
Soudain je trébuche et je tombe dans le ravin, au milieu du cours d’eau. J’ai juste le temps de voir des kyrielles de détails des flancs de la falaise : c’est une découverte brève et fabuleuse comme dans tous ces moments de mort imminente*. J’ai enfin compris ! Charon me recueille. On va peser mon âme.
Dans l’antichambre de la maison des dieux, je somnole paisiblement.
Je fais un rêve étrange et prodigieux. C’est le film accéléré de mon parcours au-dessus de la falaise inconnue. Et là, je vois tout ce que je n’avais pas pu observer de mon sentier muletier : c’est le symétrique de la falaise rive droite, au détail près. Je retrouve avec tendresse certains nids et quelques plantes familières. Une buse variable vient effleurer ma joue. Je me réveille, rasséréné. Jupin m’appelle et me demande :
"Que faisais-tu de tes jours sur terre Ô mortel ?
J’essayais de comprendre, maître des éléments...
Comprendre quoi ? Tu sais bien que nous avons tout créé.
Oui, je le sais ! Le chaos nous gouverne et une mousse fractale envahit les espaces disponibles.
Mettez-le au service de Cérès ! Il ne nous sera d’aucune utilité...
Ni pour la guerre, ni pour les affaires.
Je me retrouvai donc au service de la terre au ciel et j’entrepris de revoir par le menu tous les détails qui avaient pu m’échapper jadis dans ma longue promenade.
C’est ainsi que je rencontrai Candide...
Et nous cultivâmes nos jardins célestes, en parfaite harmonie.
(* J’en avais vécu 3 !)