Le soleil filtre ses rayons à travers les verrières de la Gare de Lyon. Paris, ville de lumière en cette veille de printemps, Paris que j’enlace quelques minutes encore avant de lui faire mes adieux, Paris où un bout de mon cœur est venu y mourir, Paris que je ne veux pas quitter, Paris que je chéris.
La gare fourmillait de gens : les uns, le regard inquiet rivé au panneau d’affichage où le temps déroulait son menu, trépignaient d’impatience, regardaient autour d’eux comme cherchant un point de repère dans d’autres yeux aussi inquiets que les leurs tandis que d’autres attendaient sereinement, assis sur les bancs de bois vernis, que du haut-parleur une voix-off annonce l’arrivée de leur train. Des hommes en uniforme et armés, en civil aussi, quelques militaires à l’oeil aiguisé, main à la ceinture, dévisageaient tout le monde, tentant de découvrir en chaque individu l’ennemi potentiel à la nation. Quelques heures plus tôt, sur l’Irak, des bombes avaient illuminé son ciel, la guerre avait bel et bien commencé.
Vous étiez là mais je ne vous voyais pas.
J’étais une vague de solitude au cœur d’une vague humaine. Une peur soudaine m’envahit. C’était un instant qui semblait perdre son temps, un mauvais rêve que le vent retenait en ricanant, un souffle qui se déchaîne dans la mer. J’avais envie de fuir, de remonter les heures.
Une table vide au fond du café. J’entre dans l’immense salle bondée de voyageurs en partance ou venant juste d’arriver. Quelques visages sortent de la tasse à café dans laquelle ils étaient plongés quand je frôle leur table. Je suis au milieu d’une marée d’hommes d’affaires qui, d’une main tiennent leur tasse et de l’autre tapent sur leur clavier d’ordinateur portable, de commerciaux de tous âges qui tournent nerveusement les pages de leur agenda, tordant leur bouche quand ils regardent leur montre. Des couples de personnes âgées sirotent leur chocolat en guettant le train qui les emmènera loin de la capitale vers leurs enfants et leurs petits-enfants dont les baisers manquent cruellement depuis leur dernière visite.
Vous étiez là aussi mais je ne vous voyais pas.
Des trains, à l’arrêt, attendaient leurs hôtes et je savais que trois heures et quelques poussières d’ennui plus tard, je descendrais sur un quai où un visage éclairé de joie m’accueillerait ; je savais, chez moi, le soleil plus ardent et la pollution absente, les oiseaux chantant sans s’égosiller et la brise du vent jouant dans mes cheveux mais je savais aussi que Paris me manquerait, que les sirènes des ambulances et des voitures de police me manqueraient aussi et comment oublier la magie des instants traversés, la poésie dans nos yeux, l’amour entre nos doigts croisés, le bonheur dans nos baisers ?
J’inonde de larmes mon dernier café. La salle ne désemplit pas : les tables laissées vides sont aussitôt investies par d’autres et les serveurs italiens virevoltent au milieu d’elles. Un coup d’oeil à l’horloge m’invite à ranger dans mon sac tous mes états d’âme et à régler mes consommations.
Vous êtes là et je vous vois.
Votre regard a croisé le mien, vous m’avez souri et je sais que votre regard m’a accompagnée sur le quai jusqu’à ce que je monte dans le wagon.