L’empreinte.
Les barreaux de l’échelle de meunier grinçaient sous mes semelles. Il était ardu et périlleux le chemin qui menait sous les combles de l’antique demeure. Cette maison penchée, voûtée, aux arbres séculaires, au toit d’ardoises verdies penchant crânement sur le côté telle la casquette d’une antique gouape.L’espace découvert relevait plus d’un capharnaüm exotique que du grenier de province. Par la lucarne voilée, le soleil mettait en scène la poussière chaude. Il régnait au sein de cet endroit hors du temps une odeur douceâtre et indéfinissable, l’arôme subtil et délicat propre aux petites églises dans l’après-midi de juillet... Le parfum suranné du passé...Le réduit était surchargé d’objets hétéroclites et inutilisés depuis des lustres, encombré comme la mémoire d’un vieillard encore alerte... Avide de confidences et prodigue d’anecdotes...La malle contre le mur semblait m’attendre depuis longtemps... Comme complice de l’intrusion discrète, ses gonds cédèrent sans aucun couinement. Pour cette cérémonie, le silence absolu était de rigueur.Lové au sein d’un froufrou de dentelles jaunies et de rubans décolorés, un vieux cahier gonflé de faveurs et recouvert d’une épaisse toile cirée agitait ses pages gondolées au rythme d’un petit vent coulis venu, fort à propos... De la cheminée...L’écriture passée était élégante et déliée, le passé venait d’entrer dans ce grenier perdu :07 janvier 1921.« Ainsi, malgré les vaines dénégations de ma pauvre maman, affaiblie par ses quatre-vingt un printemps et par les chagrins de ces terribles quatre années de guerre, j’ai acquis presque certainement la preuve qu’elle est née le 17 juin 1840 sous le nom de Dupin... Il me revient à la mémoire, alors que j’aborde le crépuscule de mon existence, ces après-midi passés, petite fille, auprès de cette dame si noble, si bonne et si pleine de fougue et de fantaisie... Au creux des chemins de ce beau Berry, le Berry de mes jeunes années... Et ce portrait monté en camée que portait en sautoir cette dame en noir, le portrait de ce jeune homme si pâle mais aux yeux si ardents... Et même si les liens du sang n’y sont pour rien,il me plait de croire que la noble dame du château de Sarzay qui écrivait de si longues lettres sur la petite table de bridge fût pour le moins ma grand-mère de cœur... J’ai gardé dans ce coffre, les carnets qu’elle a laissé à l’usage du temps et livré peut-être à la curiosité de qui voudra bien s’en donner la peine... » Troublée par ma lecture, je remarquai dans le fond de la malle de voyage, une collection de carnets de moleskine nouée par un lacet pourpre... Les carnets secrets d’Aurore Dupin... Ainsi par les méandres du temps, les femmes de ma famille me parlaient...Mes trésors sous le bras, je redescendis lentement dans le salon, abandonnant le grenier dans les velours du crépuscule.Assise à mon bureau, je consultai les écrits précieux : les carnets de moleskine et le cahier de toile cirée. Le soleil déclinant incendiait le bois de Chanteloube, une ombre violine irisait la Mare au diable, allongeait le dessin de la croix de bois jusqu’à la rive... Dans les reflets bleutés, deux femmes intemporelles souriaient...Je mis la chaîne stéréophonique en marche, dans le calme vespéral montèrent les premières notes de la Valse n°1 opus 18 en mi bémol majeur... Une miette de l’univers du jeune homme pâle au regard ardent.Face à l’écran éclairé de mon traitement de texte, je me frottai les mains en soupirant.Sur le chemin pentu si long et paradoxalement si bref de notre passage, il était temps pour moi de laisser mon empreinte...