Sur le juke-box y’avait bien Carl Perkins mais c’était déjà un truc de vieux ! De la variété française donnait le ton mais moi je voulais écouter les Beatles ou les Stones et j’avais beau tourner des yeux ronds rien n’y faisait, pas une galette ne justifiait ma pièce. Alors je retournais me baigner.
La piscine était mon royaume. Pour s’y rendre, fallait voir mes frères pédaler comme des malades et moi à la traîne sur mon petit vélo jusqu’à chez la mère Richoud, le seul bassin de la commune et du canton. Tout d’en haut du plongeoir, je sautais à ras l’échelle pour aussitôt m’attraper aux barreaux : je ne savais pas nager et il y avait peut-être bien deux mètres d’eau. Enfin ce qui était sûr c’est que je n’avais pas pied !
Qui m’a appris ensuite l’indienne, cette étrange façon d’avancer sur l’eau, tourné sur le côté, un bras tendu en avant et ramenant l’autre le long du torse tout en battant des pieds ? Peu importe, je m’imaginais Peau-Rouge (le soleil tapait fort en ce temps-là) échappant à ses poursuivants sur un bassin de vingt mètres mais si plein d’aventure ! C’est beau le monde d’un môme.
Le flipper à l’entrée m’obnubilait et grimpé sur une chaise je livrais des parties endiablées. Mes frères le soulevaient pour faire remonter la balle et le « tilt » nous faisait foncer à nouveau dans l’eau, peur de se faire attraper et aussitôt gronder. Mais non ... on était tous des gosses du coin et la mère Richoud (qui nous voyait chaque jour sauf lorsque la pluie se faisait une petite virée sur nos têtes) nous offrait à boire et parfois un sandwich que nous avalions avec avidité.
Aujourd’hui tout a changé : un parking en lieu et place du bassin, un dancing pour la détente dans les bâtiments. La musique n’est plus la même, moi non plus. C’est le fils qui a repris l’affaire, jamais je ne voudrais lui reparler car il a tué mon passé.