Dans la pénombre bleutée d’une chaude nuit d’été, il s’était installé dans la balancelle sur la terrasse. Le soleil s’évanouissait, loin derrière la vieille colline où il avait joué à maintes reprises, enfant, et les ombres filantes, qui achevaient leurs vies, se tortillaient sous la cadence d’un vent d’ouest. La balancelle grinçait à chacune des timides impulsions de l’homme, comme elle grinçait depuis sa plus tendre enfance. Ses pieds effleuraient le parquet poussiéreux, creusé par les années de service, en un bruissement à la musique apaisante. Rien ne venait obscurcir la plénitude qui émanait de cette scène intemporelle. Le ciel dégagé scintillait de mille éclats, et l’homme observait avidement ces étoiles qui brillaient au-dessus de lui. Derrière lui, on entendait le crissement de quelque grillon égaré, le vent soufflait, tranquillisant, caressant allègrement son visage sillonné, et s’engouffrait dans l’amas de feuilles de tremble qui dansaient sur leurs branches.
Dans son costume noir de cérémonie, chemise blanche immaculée et cravate assortie, l’homme ne faisait pas qu’être assis… il attendait. Dans un geste lent et précis, il porta son poignet à vue et examina sa montre argentée. Le tic-tac bruyant, si caractéristique de la montre qui lui avait été offerte par son père, vint alors briser l’harmonie de la douce mélodie nocturne. Il reposa sa main contre sa jambe, et le bruit désagréable du temps qui fuit se perdit dans le doux murmure du vent.
Pendant un court instant, l’homme avait espéré s’être trompé. Il était en retard, pensait-il, ce qui en soi relevait de l’étrange, de l’inhabituel, bien qu’il n’en eut en vérité aucune habitude. Jamais il n’avait imaginé que cela put arriver. C’est vrai, il était un privilégié, l’un de ceux qui savent, mais en aucune circonstance il n’avait songé que cela se passerait ainsi, avec un peu de retard qui plus est.
Mais cette idée quitta son esprit lorsque le plancher commença à craquer.
Des bruits de pas, lourds et pesants, comme si l’on frappait le sol à coup de maillet, s’approchèrent de lui. L’homme regardait ses mocassins désormais, et il ne leva pas ses yeux vers cette forme noire qui s’avançait dans la nuit et qu’il apercevait du coin de l’œil, Ombre chancelante qui se confondait avec les ténèbres nocturnes. L’homme savait qui Il était, puisqu’il L’attendait. Il avait été anxieux jusque là mais, curieusement, ces bruits de pas chassèrent toute idée de peur ou d’angoisse, et l’homme comprit qu’il était l’heure.
Il leva tout de même un regard singulier vers Lui. Ses yeux grimpèrent de Ses pieds jusqu’à Son visage, masqué par un nuage d’ombres. Il portait de longues bottes noires, une veste étrange, de couleur identique, descendait jusque Ses chevilles, cachant Son corps. Il gardait les bras le long du corps et Son visage ne pouvait être vu. L’homme essayait bien d’En distinguer les contours, mais c’est comme si ses yeux devenaient aveugles lorsqu’ils croisaient Son visage.
Les bruits de pas stoppèrent brusquement et sans qu’il en fut réellement conscient, l’homme cessa de se balancer, ses pieds s’immobilisèrent, le grillon se tut, le vent ne siffla plus, les feuilles se figèrent. La nuit était tombée désormais.
Dans un geste identique, l’homme scruta sa montre. Il allait Lui poser une question, mais Lui, pencha Sa tête en signe d’assentiment, comme s’Il avait lu au creux de ses pensées. L’homme L’observa, Sa veste ondulait étrangement, c’est alors que l’homme comprit qu’il ne parvenait plus à sentir la caresse de l’air sur son visage.
Il regarda autour de lui. Le monde était figé, semblable à ces natures mortes où l’on distingue les mouvements, mais où rien ne bouge.
C’est comme si le vent ne soufflait plus que sur Lui, comme si la présence de cet Homme ( mais était-ce vraiment un homme ? ) inhibait toute manifestation naturelle, toute perception physique. Etrange sensation s’il en est, mais sans doute normale.
L’homme se leva, le parquet ne craqua pas sous son poids. Lui, se tourna, dévoilant son dos, et avança, d’un pas assuré, vers l’angle que faisait la maison. L’homme n’hésita guère longtemps à la suivre. Ses pas restèrent silencieux.
Ils disparurent tous deux derrière l’angle. Le vent souffla de nouveau, agitant les feuilles sur leurs branches, le grillon retrouva sa voix, et la balancelle crissa une dernière fois, probablement poussée par le vent…probablement.
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