Je me suis enfermée encore une fois dans ce leurre qui ne signifie plus rien, ce besoin des autres dans lequel je me perds sans savoir comment en sortir... Est-ce si compliqué que de tout savoir, être sûr de tout et de tout le monde, connaître ce qu’il faut et ne faut pas faire, dire ou penser ? Est-ce si compliqué de te voir autrement que comme je te regarde maintenant ? Je l’ai écoutée parler, je l’ai vue écrire, je l’ai lue, et je me suis embrouillée. Encore une fois, je ne sais plus rien faire d’autre qu’attendre, attendre patiemment et sagement en espérant que la raison revienne bientôt, en espérant que le silence se fasse à nouveau, en espérant que je n’entendrai pas ton nom. Je n’ai plus qu’à attendre de me rendre compte, comme pour les autres, que ce n’était qu’un leurre, que ce n’était ni vérité ni mensonge, seulement une illusion dans laquelle je me suis plongée seule de par mon incapacité à penser sereinement.
Lyssia, je m’appelle Lyssia, je suis Lyssia, je suis cette autre qui me regarde avec mépris, qui se moque de ma faiblesse et de mon incompréhension, qui rit devant tant de maladresse et d’impuissance. Lyssia, je te regarde dans mon miroir, et je te vois toi, avec en arrière plan, son nom, si près mais si lointain, si précieux mais si banal. Et je sais ce que tu penses, et je sais que tu es objective, et je sais que tu garderas la tête haute en toutes circonstances. Sinon, tu t’effaceras. Lyssia, ma petite Lyssia, cette grande insupportable, cette aristocrate pleine de mépris sait, elle sait ce qui est bien ou mal, ce qui est juste et ce qui ne l’est pas, ce qui est vrai et ce qui est faux. Elle garde les yeux ouverts, chaque jour, chaque instant, elle sait ce qu’il faut savoir, et le reste elle le jette, inutilement.
Lyssia n’a pas de cœur, elle n’aime que sa fille, elle ne vit que pour elle et pour haïr ce monde qui l’a vue naitre sous l’identité d’une autre. Elle n’a pas de passé ni d’avenir, mais juste un présent qui tourne autour de l’ange de sa vie, et autour de personne d’autre. Ce petit être qui a grandi en elle jour après jour, ces remords lorsqu’elle l’avait appris, cette joie lorsqu’elle la vit pour la première fois. Elle, dont le destin était voué au mal et à la souffrance, avait donné naissance à un ange. Elle, qui pleurait son âme perdue, l’avait vue prendre vie dans ce petit corps qui sortait d’elle-même. Elle qui n’avait pas de cœur, elle qui l’avait donné à son enfant. Ce cœur...
Et moi, dans tout cela ? Je regarde à travers cette glace, l’image immobile soutient mon regard et sait ce que je compte faire. Lyssia, mon reflet, mon ombre et mon mirage, Lyssia mon autre sait. Et elle ne fera rien pour m’en empêcher. Elle me tend sa dague, et je m’ouvre la poitrine, indifférente à la douleur, indifférente au sang qui coule, et je l’atteinds bientôt, ce que je cherche, cette boule que je ne veux qu’extirper de mon être. Je l’attrape enfin, ce cœur, ce cœur qui me fait mal et me dicte ma conduite. Ce cœur que j’aurais offert à un seul, peut être toi, mais que je veux détruire afin que cela ne soit le cas. Ce cœur que je veux tuer afin de m’ouvrir les yeux, et de savoir qui tu es. De me rendre compte qu’elle s’était trompée. De me rendre compte que c’était normal. De me rendre compte que je suis trop jeune... Je regarde ce cœur, indifférente, et le tend à Lyssia. Elle ouvre une boîte en ébène, finement sculptée et le recueille à l’intérieur. Je l’y dépose délicatement, et la boîte se ferme. Lyssia me sourit : elle sait que j’ai raison. Elle sait que lorsque l’on fait un choix, on a toujours raison. Aujourd’hui j’ai enfermé mon cœur pour que tu ne l’atteignes jamais. Aujourd’hui j’ai enfermé mon cœur pour qu’il n’atteigne jamais le tien. Elle s’était trompée. Lyssia avait raison.
Aujourd’hui j’ai enfermé mon cœur pour l’éternité.