JOURNAL DE BORD
Grâce à la belle-soeur de mon oncle, femme de ménage à
la N. A. S. A. , nous avons pu prendre connaissance de
documents confidentiels comprenant surtout le journal
de bord relatif à un séjour en orbite de trois
cosmonautes - deux hommes et une femme - , journal
qu’elle découvrit en époussetant l’intérieur d’un
coffre-fort. Ce journal de bord écrit par Jack, un des
trois cosmonautes, contient sur la vie en impesanteur
quelques
observations qu’ il nous a paru utile de vous faire
part. En voici donc un extrait :
8 mai : Harold et moi avons profité de ce que Jessica
avait le dos tourné pour continuer nos recherches sur
l’état d’impesanteur dans lequel nous nous trouvons
depuis deux jours. Ainsi, nous avons feuilleté tous
deux une revue pornographique. Les résultats sont
incroyables !
10 mai : Depuis quatre jours que nous flottons dans
notre étroite cabine, Harold, Jessica et moi
commençons à nous habituer à ce nouveau mode de vie.
Si seulement nous pouvions nous déplacer aussi
lentement sur Terre, il y aurait certainement beaucoup
moins de stress.
11 mai : Ça y est ! j’en étais sûr : Jessica est
tombée amoureuse de moi. Elle n’a pas arrêté de me
regarder pendant toute la journée. A propos, cela me
fait penser que nous avons découvert que nous dormions
tous trois les yeux grands ouverts : ceci dû sans
doute à l’impossibilité pour nos paupières de
s’appesantir.
13 mai : Vendredi. Bien que pas du tout superstitieux,
je savais très bien que cette journée allait nous
attirer des malheurs. Nous étions déjà habitués à ce
que la nourriture et la boisson s’envolent, mais
aujourd’hui, ce fut le drame : Harold reçut en plein
visage toute l’huile brûlante de la fondue
bourguignonne. Toutefois, heureusement que c’est
arrivé à lui, car Jessica et moi nous nous aimons et
avons même projeté de nous marier sitôt rentrés.
Aujourd’hui tout de même, à notre grand soulagement,
un
petit évènement comique est venu détendre l’atmosphère
: au moment de prendre sa pilule contraceptive,
celle-ci s’est échappée de la main de Jessica pour
aller se loger dans l’oreille d’Harold. Nous n’avons
pu la récupérer. C’était sa dernière.
16 mai : Je ne ferai qu’une petite remarque : bien que
la pesanteur soit inexistante, les blagues d’Harold
sont toujours aussi lourdes. Il commence à m’énerver
car j’ai l’impression qu’il nous épie sans arrêt.
17 mai : La nuit dernière Jessica et moi avons fait
l’amour, profitant du profond sommeil d’Harold.
L’ennui, c’est qu’à cause de cette satanée impesanteur
qui réduit considérablement la vitesse de tous nos
mouvements, nous ayons mis cinq heures pour parvenir à
nos fins malgré notre volonté d’en finir vite, de
crainte qu’Harold ne se réveille. J’en ai conclu plus
tard qu’ici en orbite, il se pourrait qu’il faille
trois ans pour qu’un bébé vienne au monde.
18 mai : Ce qui devait arriver arriva : Harold et moi
nous nous sommes battus, mais n’avons pas réussi à
nous faire mal. Il est jaloux de moi parce que Jessica
m’aime. Dans l’après-midi, pour m’être amusé -
pourtant sans méchanceté - du nuage de pellicules
flottant dans l’espace juste au dessus de sa tête, il
a sorti un revolver de sa poche (d’où vient-il ? )et
m’a tiré dessus à bout portant. Grâce à la
particulière absence totale de pesanteur, la balle
termina son trajet juste au dessus de nous, dans le
plafond, et creva ainsi la réserve d’eau. Résultat :
nous sommes tout trempés. La lecture de Gandhi m’a
beaucoup influencé : il a voulu me tuer mais je lui
pardonne.
Comme vous avez pu en juger vous-mêmes dans cet
extrait, ce journal contient d’intéressantes
informations.Il paraîtrait qu’actuellement, pour
vaincre le stress et pour retrouver le calme et la
lenteur découverts en orbite, Jessica, Jack, et leur
enfant, soient allés vivre en Suisse et en aient
adopté le mode de vie qui, d’après eux, est
exemplaire.
Quand à Harold, il aurait passé soi-disant six mois
dans une maison de repos, avant de s’adonner
entièrement à l’haltérophilie.
H. M. Gillen