Elle s’est assise à son bureau devant le petit carnet bleu où elle notait les numéros des êtres qui lui étaient chers, il ne lui fallait surtout oublier personne, elle n’en avait pas le droit. Elle a décroché le téléphone et de la lettre A à la lettre Z les a appelés un par un.
Ca lui a pris du temps mais du temps elle en avait. Elle n’avait d’ailleurs plus que ça, puisqu’on lui avait tout pris, jusqu’à ses trois enfants qu’elle n’avait le droit de voir qu’une fois par mois deux heures en compagnie d’une assistante sociale.
C’est vrai qu’elle n’avait pas été une bonne mère, c’est vrai que la vie lui avait tant fait qu’elle avait cherché l’oubli dans le fond d’une chope de bière pour commencer et puis de bouteille de vin en bouteille de whisky bon marché elle avait sombré peu à peu, s’abîmant dans les méandres de la déchéance. Mais au moins quand elle était ivre elle ne sentait plus les coups que son mari lui dispensait allègrement et dans l’indifférence totale du voisinage.
Ce matin-là elle venait de recevoir un avis d’expulsion, alors elle a renoncé et fait ses adieux à tous et personne ne l’a entendue.
Une seule personne a compris qu’il ne s’agissait pas d’un nouveau délire d’alcoolique mais quand elle est arrivée, il était déjà trop tard…Elle avait 37 ans, issue d’une famille démunie, elle a été enterrée la veille de Noël dans la fosse commune.