Je ne peux rien dire. Je dois me taire. Je n’ai pas le choix.
Ce gamin que je hais, que je ne supporte plus, que je n’aime pas alors que je le devrais, ce gosse mal élevé, stupide, détestable, violent, égocentrique, narcissique, fier de lui, irrespectueux... Ce type qui parle mal à sa mère, qui râle sans cesse et n’est jamais content alors que celle-ci tente de lui faire plaisir, ce type qui lui hurle dessus, pique des colères violentes sans ne connaître aucune conséquence, sans que sa mère ne dise rien, sans qu’elle réagisse, sans qu’elle le rappelle à l’ordre, sans qu’elle lui rappelle qui commande, sans qu’elle lui rappelle qui doit se taire.
Ce type mal élevé, qui "[me] battrait si [j’]étais [sa] mère", ce type qui ne connait pour malheur que les quelques refus à des caprices, à des exigences qu’il n’est pas en droit d’avoir, ce type est détesté, haï, méprisé, par une soeur qui ne peut rien dire, par une soeur qui ne peut que se taire, parce que gamin est aimé et adoré par celle qui l’a mis au monde, par celle qui a toujours été laxiste envers ce gamin qu’elle a mal élevé. "Laisse-le, tu n’es pas sa mère". Non je ne suis pas sa mère, sinon jamais il me parlerait sur ce ton. Jamais il ne se permettrait de piquer pareilles colères, jamais il n’aurait montré des signes de violence. Jamais il ne pourrait faire ce qu’il veut avec sa propre mère, aveuglée par l’amour qu’elle lui porte.
Je hais ce type, j’ai honte de ce môme, ce gamin qui n’a que quatorze ans, ce gamin qui se croit au-dessus de tout, ce gamin qui se croit brimé, ce gamin qui me fait vomir. Et je dois me taire, parce que "je ne suis pas sa mère". Parce que je lui en ai déjà parlé, et elle a juste dit "tu es jalouse". Oui, je suis jalouse... De son éducation, de son comportement, de sa violence, de son irrespect, de ses colères. Je suis jalouse. Donc je me tais.
Et si je ne peux pas en parler à ma propre famille, trop aveugle et laxiste, alors qu’autrefois ils ont élevé deux enfants à qui ils n’ont jamais permis autant d’irrespect et de sautes d’humeur, à qui ils n’ont jamais permis d’élever la voix contre eux ; si je ne peux leur en parler, je tenais à extérioriser cette colère, cette haine, ce mépris, ce dégoût contre ce gosse que je ne supporte plus. Contre ce frère que je n’aime pas et dont je regrette jusqu’à l’existence.
Parce que si c’est mon frère, je l’ai en horreur, j’ai honte de cette afiliation comme on a honte d’une saleté méprisable, d’un parasite insupportable. Mais quand pourrais-je partir ? Combien de temps encore devrais-je supporter sa présence, sa sale présence si près de moi, combien de temps devrais-je encore le voir faire et dire ce qu’il veut, hurler sur sa mère qui se tue à essayer de lui faire plaisir rien que parce qu’il en a envie, combien de temps devrais-je encore le voir et faire comme si je ne le détestais pas ? Comme si il m’était indifférent ? Je ne peux plus feindre l’indifférence ce soir, je ne peux plus prendre sur moi.
Alors que ceux qui lisent ces lignes comprennent ou ne comprennent pas ma haine, je n’en ai que faire. L’important c’est qu’on le sache. L’important c’est que je puisse le dire, l’extérioriser, l’exprimer, même si cette haine débordante est intarissable : je hais mon frère, cette chose ignoble qui n’aurait jamais dû vivre.