D’un geste doux elle écarte les draps, installe délicatement sur l’oreiller la main qu’il a posé sur son épaule en s’endormant et se lève sans faire de bruit. En silence elle regagne son atelier comme toutes ces nuits où elle ne trouve pas le sommeil, et là dans la solitude de l’obscurité elle exorcisera ses peurs en fixant à jamais son visage dans la glaise souple et tiède. C’est sa façon à elle de le garder, de sceller leur amour et de braver l’incertitude du lendemain.
Elle ferme les yeux.
Ses mains seront son seul guide, elles savent sur le bout des doigts l’empreinte de ses traits. Elle dessine d’abord l’ovale parfait, les pommettes très légèrement saillantes et ce petit creux à peine perceptible au milieu de ses joues. Puis elle modèle le nez fin et la bouche aux lèvres d’enfant boudeur qu’elle aime tant embrasser. Pour finir elle attaque les yeux, c’est son point faible, difficile d’y fixer l’expression d’un regard. Tout d’abord elle façonne l’arcade sourcilière bien marquée et à la fois si fine, elle creuse un peu et sculpte le contour en amande. Elle s’applique, s’y reprend en plusieurs fois, transforme et corrige encore et toujours, insatisfaite et patiente.
Epuisée, elle s’arrête enfin et des deux mains caresse son travail, symétrie, proportion, elle le retrouve dans chacun des traits qu’elle a tracés.
Elle sourit.
Soudain deux paumes se posent sur son cou, elle ne l’a pas entendu venir toute occupée qu’elle était à parfaire son œuvre. Il frôle sa peau, elle sent son souffle sur sa nuque, sur ses épaules, il murmure, chuchote. Ses mots sont des baisers portés par un soupir, il lui parle de l’aube qui naît, de cet incendie qui embrase le ciel, du mauve et du pourpre qui se mêlent dans une palette aux nuances invraisemblables. Il raconte cette étoile qui brille encore haut dans le ciel, éclairée par le soleil qui s’extirpe lentement de son sommeil. Il lui dit l’éclat de ses cheveux quand la lumière du jour s’éprend de ses reflets de terre ocre et rouge, de cette lumière qui illumine son visage de madone, il lui dit qu’il l’aimera aussi longtemps que la nuit précédera le jour. Elle y croit ce matin comme chaque matin mais à la nuit tombée le doute l’envahira encore et encore comme un mal insidieux qui se glisse dans les veines et empoisonne le cœur.
Elle est fatiguée, elle a froid, elle se dégage brusquement de son étreinte, elle veut un café bien chaud. Elle est devenue comme ça, imprévisible et distante depuis que cette canne blanche accompagne ses pas.