Il pleuvait depuis de longues heures déjà. Les docks étaient déserts, l’animation fébrile de la journée avait laissé place au bruit régulier des gouttes d’eau qui martelaient le sol et les containers en attente du ventre des navires qui demain s’en iraient pour des terres lointaines, fendant les flots, fiers et arrogants.
La mer, sous les reflets blanchâtres du clair de lune, s’éveillait à la nuit, mouvance sombre et ténébreuse que le vent léger faisait onduler doucement. La chaîne rouillée d’une grue de déchargement venait heurter par intervalle régulier la structure métallique laissant entendre un grincement sinistre et fantomatique.
A genoux sur l’asphalte, entre les papiers gras et les mégots, les bras en croix il priait et implorait. L’eau ruisselait sur lui, glacée, lourde et retorse. Elle s’insinuait partout, glissant le long de son dos par le col entrouvert de sa veste, pénétrant sa peau. Ses vêtements, informes et détrempés se plaquaient sur son corps comme des sangsues luisantes et transies.
Dénué de tout dignité, empestant la sueur et l’urine encore tiède, il ne ressemblait plus à un homme, il n’était plus qu’une masse bancale et suppliciée, éclairée par un réverbère blafard et tremblotant.
L’autre, face à lui, bien planté sur ses deux jambes le tenait en joue. Cela devait bien faire une heure ou deux que tout cela durait. De menaces en insultes, le ton était vite monté entre les deux hommes jusqu’au moment où le plus jeune avait sorti une arme de sa canadienne et la lui avait collée sur la tempe. Au début, il avait bien essayé de se justifier, de l’amadouer mais rien n’y avait fait. Sa détermination faisait peur à voir, une lumière diabolique illuminait son regard et son sourire cruel annonçait sa volonté d’aller jusqu’au bout de sa colère et de l’excitation qu’il ressentait à l’idée de franchir les limites.
Dans un claquement sec, il fit sauter la sécurité, l’homme à genoux sursauta mais ne dit rien, il venait de comprendre que dans un instant tout serait terminé. Puisqu’il fallait en finir, autant que ce soit le plus vite possible, pensa t-il. Soumis et silencieux, il ferma les yeux, espérant avec impatience maintenant le coup fatal, la délivrance.
Sans trembler une seule seconde, le bourreau commença à presser la détente, c’était facile, si facile, presque trop. La détonation troua le silence, résonna en un écho qui se prolongea longtemps, suivie du bruit sourd du corps s’écroulant sur le quai.
Frustré et déçu, le meurtrier rangea l’arme. Tout avait été si vite, tout avait été si simple.