Qui suis-je ? D’où viens-je ? Où vais-je ?
Rapidement, je récupère ce qu’il me reste d’esprit, d’esprit critique. Ces questions essentielles, existentielles, métaphysiques, trouvent ici et maintenant des réponses appropriées, nettes, concises, réduites à leur plus simple expression.
Merde !
Je suis un mec bourré, épuisé, alangui - vautré ou démantibulé, éclaté ou laissé pour mort - sur le bitume d’un grand parking boueux, avec des gravillons qui tentent sournoisement de s’incruster dans sa joue droite. Je viens de me faire éjecter du night-club le plus minable du monde par deux videurs abscons et légèrement violents, en tous cas très fâchés que je les traite de danseuses mondaines et de bourgeoises chichiteuses, de lopettes et de Belmondo d’opérette. Je veux remonter en voiture et rentrer à l’hôtel, me foutre sous la douche et m’évanouir ou crever, peu importe.
Il est quelle heure ? Avec difficulté je parviens à voir ma montre. Trois heures trente six.
Je débarque à Plouville par le train de huit heures, en pleine nuit. Je frissonne en sortant du Corail surchauffé. Il fait pas loin de moins dix.
Un jeune type à cheveux longs et propres m’accueille d’un grand sourire et me fait monter dans une Renault 5 orange, branlante.
- Je m’appelle Jean-Luc. Je suis super content de vous rencontrer.
Je lui dis que moi aussi, je suis super content de le connaître. Jean-Luc conduit lentement, prudemment. La route est glissante. Il a du neiger toute la journée, toute la semaine ou tout le mois. Les rues sont vides et probablement verglacées. Bien qu’il soit encore tôt, les commerces sont clos, les volets fermés et les âmes ne quivivent plus, ou alors en intérieur, devant une télé allumée sur la météo de France 3 et le journal régional.
- Là, forcément, c’est un peu vide mais vous verrez, demain, il y aura plein de monde. Quand Philippe Sollers est venu il y avait ... au moins soixante personnes dans la librairie.
Respect !
L’hôtel du Centre est en plein centre ville, face à la mairie. Depuis ma chambre au troisième étage, petite mais confortable, avec la télé, satellite et Canal Plus, un mini bar rempli et une vraie salle de bain, je peux voir quelques fenêtres allumées et des ombres qui s’agitent avant d’aller dormir. Je m’assieds sur le lit. Je pense à Paris et à cette soirée que je rate parce que je suis ici, à Anne-Marie qui va me chercher partout pour m’offrir son corps en des étreintes rugueuses, à son mari qui devient très jaloux, à ...
Je me lève et me sers une vodka avec un peu de tonic. Je suis épuisé.
- Allez ! Ca te fera du bien.
- Bah ! Tu sais, moi, la province ...
- Oui mais ... Tu sais, ils ne voient pas grand monde, là bas. Tu vas être accueilli comme une vraie star, ta photo dans le journal et tout ...
- Tu sais parler aux hommes, toi !
Caroline m’a collé le billet SNCF dans les mains.
- Ca fera aussi du bien à tes ventes, si tu vois ce que je veux dire ... Hum !
Je quitte mes chaussures, je m’allonge sur le lit, mains derrière la tête. Qu’est-ce qu’il se passe en ce moment ? Je perds l’ouie, la vue, l’odorat. Ou, plutôt, mes sens sont là mais ne me renvoient plus que des sensations de merde, d’égout, de fange. Ma vie sent le marigot. Mes jours sont putrecibles, mes nuits déliquescentes. Et ce n’est pas avec ce que j’écris en ce moment que l’éclaircie va poindre :
« Comme une fille du Lido, je vis de ma plume ... » Putain !
Je ferme les yeux et quand je les rouvre il ne s’est pas passé plus d’un quart d’heure. Je zappe un peu : télé réalité qui n’est pas la mienne, débat politique où personne ne peut parler, série allemande aux images vertes, match de foot lent et triste, adaptation post-moderne et déstructurée du « Ring » sans sous-titres, série ZZZ avec Dolph Lundgreen, reproduction des coléoptères en Amérique centrale et invention de l’hydrographie systémique, reprises de mauvaises émissions, ... Je pense à ce pauvre tube cathodique arraché à sa Corée natale, qui a traversé les mers sur son boat-machine, bravant les vents et courants, fier et brave, pour atterrir là. Implose mon frère ! Fous-toi en l’air ! Allez, je te suis. A trois ... Un ! Deux ! Troi...
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C’est comme ça que je me retrouve à boire tout seul, comme un con, au fond du « Palazzz », sordide et peu peuplé. Sur la piste, pendant que « Tenue de soirée » danse, danse, ce refrain qui te plaît, trois cadres commerciaux en goguette tournent autour d’une blonde millésimée 53-56, aux genoux cagneux sous une courte jupe blanche qui flotte lorsqu’elle tourne. De la table, j’imagine que, par petites touches, ils tentent de la convaincre de s’adonner aux joies de l’amour multiple. Elle sourit bêtement mais semble décidée à ne pas lâcher prise. Elle a lu dans Femme Actuelle que dès qu’on est plus de deux c’est le bordel et dans Biba que c’est pas parce qu’elle est seule qu’elle doit faire n’importe quoi. Ils insistent. Elle se fâche et quitte le dance-floor à grands pas rageurs, vers la sortie. Les VRP retournent à leur table, boivent et éclatent de rire en disant des mots comme « salope ».
Les autres habitants de l’univers sont par deux, de sexe opposé, s’embrassent, s’enlacent, profitent de l’obscurité pour préliminer et il pourrait bien se passer n’importe quoi, une invasion des chars russes ou de Nicolas Sarkozy, qu’ils ne cesseraient de se lécher la pomme, de se mêler les langues, de se faire des promesses intenables à voix basses dans le creux de l’oreille, de se sourire béatement et de regarder dans le vague en s’agaçant qui les seins, qui l’entrejambe, sous les toiles gênantes de leurs habits castrateurs.
Comme d’habitude le barman s’appelle Paul et la fille qui slalome entre les tables et les danseurs, fatiguée de porter sa misère hautaine, Loana. En fait, son vrai nom est Monique (millésime 52 bien conservé) ou Véronique (cuvée 63 bouchonnée), mais Loana est plus sexy, plus commercial, moins « deux qui la tiennent ... »
Je commence doucement par quelques verres puis, faisant fi de toute hypocrisie, je commande une bouteille et l’attaque par la face nord.
- Loana !
- Ouais, c’est pour quoi ?
- Une vidange boîte et la pression des pneus...
- Hein ?
- Non, je blague !
- Ah !
- Vous n’avez rien à grignoter ? Je n’ai pas dîné.
- Ben c’est que ... On a, heu ... des chips, des cahouettes et des pistaches.
- Gastronomique !
- Comment ?
- C’est bien pratique !
- Vous êtes un rigolo, vous ! Bon, qu’est-ce que je vous mets ?
- Un peu de tout, merci.
- Pas de quoi !
Je bouffe des Vico molles, quelques arachides empreintées, et les noisettes vertes mais, surtout, je bois. Beaucoup, avec lenteur mais précision. Je me torche savamment, je m’explose consciencieusement, je m’applique à me détruire par l’alcool avant que les turpitudes de mon être post-moderne, de mon non-être classique, de ma minable condition de déshumain désoeuvré ne s’en chargent, sans aucun contrôle possible, ni retour. Et ça marche ! Sans prévenir, je décolle comme une Ariane V, je quitte le plancher des grosses vaches, je me plante le nez au ciel, je me mouche dans les étoiles et je pisse comme je pleure sur mon destin cruel.
- Paul ! Paul ! Il est en train de pisser, ce con !
- Quoi ?
- Il a sorti sa bite et il pisse sur la table...
- Oh ! Merde !
Paul accourt.
- Il ne faut pas faire ça, Monsieur !
- Faire quoi ?
- Rangez votre sexe ...
- Oh ! Oh ! Oh ! Mon sexe ! Oh ! Oh ! Oh ! Tu sais ce qu’il te dit, mon sexe ?
- Loana, va chercher Mouloud et Jean-Jacques !
Après c’est un échange fructueux de noms d’oiselles et de techniques de combat de rue.
J’entends des pas qui approchent. Ca fait « flac flac » sur le bitume détrempé. Je replie une jambe à grand peine.
- Aaaaah !
- Non, non ! N’ayez pas peur.
Je parle comme après une anesthésie dentaire.
- Je n’ai pas peur. J’ai cru que vous étiez mort.
- Prechque !
Une main fine et fraîche se pose sur mon front.
- Ca va ?
- Bof ! Chais connu des chours meilleurs !
Les doigts caressent mes cheveux, comme une humanité naissante chez l’australopithèque. Ca fait du bien, un bien fou, inespéré.
- Catherine ! Qu’est-ce que tu fous, bordel ?
L’homme est à quelques dizaines de mètres, pas plus. Il hurle. Il semble excédé.
- Tu fais chier ! Tu vois pas qu’il a besoin d’aide ?
- Catherine, monte dans la voiture. Tout de suite !
Catherine me regarde.
- Il va falloir que j’y aille...
- Allez ! Allez !
- Ca va ?
- Mais oui, che vous dis !
- Vous êtes sûr ?
- Chertain !
- Catherine, putain ! Monte !
- Bon, j’y vais. Au revoir !
Flac ! Flac ! Flac ! Je tente de me redresser.
- Aie !
Catherine se retourne et se précipite vers moi.
- Quoi ?
- Rien ! J’ai du me péter un doigt.
- Faites voir ...
- Catherine !!!
Une portière claque. Une voiture démarre. Au bruit, c’est une grosse allemande, le confort jusque dans le pot, la classe en échappement contenu, un pet puant de monoxyde de carbone, certes, mais élégant, fin, racé, presque tendre.
Klaxon ! Catherine ne bouge pas.
- Quel doigt ?
Klaxon, deuxième vague. Catherine me tord la main à la recherche de l’éclopé.
- Aie ! Merde ! Vous me faites mal !
- Pardon !
Le moteur ronronne, s’emballe et le bolide s’éloigne puis s’en va complètement et nous salue d’un concert rageur de sirène vengeresse.
- Il est parti !
- Pas grave ! C’est un con. Il reviendra.
- Aie !
- C’est le majeur, il est cassé. Il faut aller à l’hôpital. Vous avez une voiture ?
Je dis à Catherine que les clés sont dans ma poche de veste. Elle fouille un peu et trouve le trousseau de Jean-Luc, avec ses portes-clés « feuille de cannabis » et « Che Guevara ».
- Intéressant !
- Ce n’est pas ma voiture. On me l’a prêté pour la soirée.
- Ah oui ? Et c’est quoi ?
- La R 5 orange, là bas.
- Intéressant !
Difficilement, je me relève, grâce à elle. Elle a une force assez incroyable pour une fille aussi frêle. Je dois bien faire le double de son poids mais elle me porte presque jusqu’à la Renault antique. Je boite, je hurle à chaque pas, je tangue, je manque de gerber, j’aide Catherine à se cogner contre des milliers de rétroviseurs, je m’étale plusieurs fois, elle me relève, toujours, comme un bon petit grognard de la garde, meurt mais ne se rend pas.
- Wahoo ! Belle voiture !
- Ca va ! Ca va ! Vous n’avez pas honte de vous moquer d’un pauvre infirme !
Catherine conduit comme une dingue, Satanas et Diabolo, et pile net à déclencher des airbags - s’il y en eu - juste devant l’entrée des urgences.
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Juste avant que deux infirmiers goguenards ne m’emporte et qu’une interne, jolie quoiqu’un peu brusque, ne me torture le dextre pour bien vérifier qu’il est cassé et douloureux, je remercie Catherine de sa grande gentillesse.
- Vous êtes adorable, sans vous ...
- Je reste. Je vous attends.
- Mais pourquoi ? Ca risque d’être long et vous avez certainement bien mieux à faire de votre ... petit jour naissant que de rester là à veiller un pauvre con d’alcoolique anonyme et merdeux qui s’est fait péter la gueule par deux videurs d’une boîte de merde !
Elle me regarde droit dans les yeux.
- En fait, non !
Je consulte, on me radiographie, on me plâtre sans plâtre, on me bande sans ménagement, on me sermonne un peu en trouvant dramatique qu’un beau mec comme moi soit dans un tel état, je remplis plein de papiers et, après deux bonnes heures, je retrouve Catherine qui s’est endormie, allongée inconfortablement sur deux sièges en plastique moulé brun. Je la regarde rêver. Ses songes doivent être doux puisqu’elle sourit avec sérénité. Je la trouve belle, avec objectivité. Catherine a vingt, peut-être vingt-deux ans, le bel âge. Et je crains de gâter sa jeunesse, sa beauté, ses espoirs, les chances qu’elle peut avoir d’un avenir radieux, d’un bonheur éternel, en la réveillant là, en retournant dans sa vie.
Je vais vers un des Antillais qui s’est occupé de moi et lui tends mille balles, cinq cent pour lui et cinq cent pour Catherine, dédommagement illusoire, soulagement dégueulasse de ma conscience perdue, retour en taxi dans sa maison, que j’imagine blanche et fleurie.
- Je compte sur vous. Et si ...
- Il n’y aura pas de si !
- Ok ! Merci pour tout.
- Adieu !
Je démarre la R5 et rentre à l’hôtel, espérant qu’aucun gendarme sur la route ne se verra encombré du doigt d’honneur que je brandis bien malgré moi.
Je prends un bain très chaud et je m’endors dans l’eau en veillant à ce que ma main gauche, heureusement la gauche, n’atterrisse pas dans l’eau.
L’horloge de la mairie sonne huit heures quand on frappe à ma porte façon Gestapo énervée.
- Petit déjeuner !
J’ai froid. Des icebergs se forment à la surface du bain, j’ai la peau plissée comme un Sharpei ou Brigitte Bardot - joies du mimétisme ! Avec douleur et complications, je me tire de la baignoire et me ceins d’un drap de bain blanc et épais.
- J’arrive !
J’ouvre la porte et une brune pas très grande me regarde, affolée, presque à en lâcher son plateau.
- Ben mince alors ! Qu’est-ce qu’il vous est arrivé ?
- Bah ! Trois fois rien, ne vous inquiétez pas !
- Ben mince alors ...
Elle pose le plateau sur la petite table basse et ouvre les rideaux sur un jour qui tarde à s’éclairer et une nouvelle couche de chantilly ferme chue aux mâtines.
Le lit, intact, la surprend.
- Vous n’avez pas dormi ici ?
- Si ! Heu ! Non ! Dans la baignoire.
- Quoi ?
- ...
- Ah, oui ! Dans la baignoire !!!
Elle me sert un bol de café fumant.
- Monsieur Sollers, lui, il avait dormi dans le lit.
Je pourrais lui expliquer que nous n’avons pas la même rock’n’roll attitude, Sollers et moi, ni le même âge, ni les mêmes moyens - il gagne beaucoup plus que moi et à droit au lit quand je me contente d’une Jacob-Delafon même pas haut de gamme -, je pourrais lui conter mes aventures de jet setter maudit, même la vérité s’il le fallait vraiment, mais je n’en ai pas le courage.
- Qui vous a demandé de me réveiller si tôt ?
- C’est Monsieur Jean-Luc ! Il avait peur que vous soyez en retard.
- Ah ! Oui ! Vous le remercierez de ma part !
Dans la glace je regarde mon corps de schtroumf prêt à se violacer. J’ai des traces de griffures immondes sur la joue, des valoches pour deux mois au ski sous les yeux et les pupilles dilatée dans un océan de sang rouge. Et cette insulte permanente qui pend mollement, mal accrochée à mon poignet gauche.
Splendide, déchu, déchet !
Je m’habille, je me costume, je me déguise en ce jeune écrivain bobo et truculent, intello parisien baroudeur des hautes sphères et bas fonds, etno-spéléologue de l’amour la nuit, des siestes perverses en après-midi, des dîners langues de putes, des cocktails mondains qui finissent en saillies homériques, coupe de champagne et belle(s) fille(s) en main(s), comme sur les photos de quatrième de couverture et je redeviens, pour mon cœur de cible, le fabuleux auteur de « Prout ma chère ! » - dans lequel je vitriole les amies de ma mère -, de « Jeunesse plaquée or » - biographie absurde de mes compagnons de rallye -, de « L’amour dure trois minutes vingt-sept » - où je raconte, non sans une certaine truculence, mon éducation sentimentale, donc sodomite, aux frontières des arrondissements 1, 8 et 16 -, et de ce dernier opus, « De l’impression d’être en vie », qui montre le côté obscur de ma farce, encensé par la critique, boudé par l’humanité. Mon livre vérité ! Mon âme à nu sur quatre cent pages ! Mon chef-d’œuvre ! Et le vide en cadeau, l’impossibilité d’aller plus loin dans la passion, l’horreur, la vérité, la vie.
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J’aurais pu, j’aurais du, me foutre en l’air, en un coup, une bonne fois pour toutes : sauter sous un métro ou de la Tour Montparnasse, nettoyer un pistolet chargé, conduire une Aston Martin, m’inscrire balladurien à l’UMP, prendre bien plus de coke, d’héro, baiser des filles douteuses sans être couvert, visiter l’Irak ou Dunkerque, manger chez ma mère, ...
J’ai picolé, beaucoup, sniffé un peu, niqué sous latex les femmes de mes copains, fait du vélo en short moule burnes, avalé des huîtres sans les mâcher, mangé chez ma mère ... Cela n’a pas suffit ! Petit bras à la petite semaine ! Minable !
Vers midi trente il est clair que je ne suis pas Philippe Sollers.
Même en comptant deux fois la fille aux yeux pâles qui est revenu chercher son porte monnaie oublié sur le comptoir de caisse, mon score s’établit péniblement à vingt deux visiteurs et quatre livres de poche vendus dédicacés. Jean-Luc est content parce qu’il a pu discuter avec moi autant qu’il le voulait sans être interrompu, m’a fait signer ses exemplaires et a posé derrière moi pour la prochaine une de l’Eveil de Plouville. Sa patronne, Bernadette, qui m’a glissé que la littérature s’arrête après Céline, fait un peu la tête, appuyée sur le stock de mes livres qu’elle n’a pas vendu. Même si elle sait qu’elle pourra les retourner sans peine, tout ce « bazar » pour si peu lui reste au travers de la gorge.
A une heure moins cinq, rien ne va plus.
Au lieu de me saluer, elle court s’enfermer en pleurant dans l’arrière boutique, simplement parce que j’ai osé la traiter de « boutiquière inculte qui ferait mieux de vendre du jambon sur les marchés » quelques instants plus tôt. Mais il ne fallait pas qu’elle me cherche - non mais ! -, en déclarant que Blondin n’était qu’un alcoolique, que le seul Miller acceptable est drôle à souhait chez Ruquier et qu’il n’y a pas de vrais bons auteurs américains.
- Dos Pasos ? Faulkner ? Fante ? Capote ?
- Des dépravés !
- Fitzgerald ?
- Oui, hé bien vous pourrez m’en citer autant que vous voudrez, ça ne vaudra pas Proust, Céline et ...
- Guy des Cars ! Ah ! Ah ! Ah !
- Si vous voulez ! Guy des Cars, au moins, il vend des livres !
- Salope !
- Quoi ?
- SALOPE !!! Boutiquière inculte ...
Mon train part vers trois heures.
Sur le pas de la porte, je remercie Jean-Luc et lui demande de ne pas trop traîner avec moi, des fois qu’il se prenne un mauvais coup au passage.
- Je m’en voudrais de faire de toi un dommage collatéral !
J’allume une cigarette et je passe à l’hôtel prendre mes affaires. La note est directement réglée par mon éditrice. Puis je marche sous un déluge de neige.
En traversant la Place de Gare, une grosse Audi manque de m’écraser, pile, glisse un peu, s’arrête, en plein milieu de la chaussée.
La fenêtre passager avant s’ouvre, m’invitant manifestement à venir me faire engueuler par le conducteur. J’y vais de bon cœur, une bonne castagne me fera du bien, au moins aux nerfs, quitte à me retrouver, une fois de plus, rétamé pour le compte.
- Dites donc, espèce de chauffard...
Je me baisse pour regarder dans la voiture et je découvre Catherine, sourire aux lèvres.
- Vous faites quoi, ces prochaines heures ?
- J’attends mon train et je rentre à Paris.
- Montez !
- Ecoutez, vous êtes gentille mais je n’ai pas le temps ...
- Montez !
Je suis à peine installé qu’elle se précipite sur moi et me roule une pelle magistrale, langue envahissante, agile, puissante, experte. Je laisse faire un temps puis me recule.
- Hé !
- Quoi ? Vous m’avez donné cinq cent balles, je suis une fille honnête, je vous rends la monnaie !
- Ca ne va pas la tête ?
Elle se marre franchement.
- Imaginez que vous ayez donné... je ne sais pas moi, mille !
- Mais j’ai donné mille !
- Je sais ! Allez, attachez votre ceinture, je vous ramène chez vous. Mais ne m’en veuillez pas si on fait quelques détours.
- Ah ! Vous avez des gens à voir ?
- Disons que j’aimerais voir une personne en particulier. En privé ! En très privé !