Infinité repue des relations précaires
"Bouygues, une maison de maçons"
Martin B. héritier
Juste après que nous ayons baisé, elle demande :
Et après ...
Après ! Quoi après ? Qu’est-ce qu’elle me veut ? Que je l’aime ? Ca va pas non !
Et pourquoi pas un mariage, elle en chantilly et moi en pingouin, deux trois mômes pour la statistique, un prêt à taux zéro, des vacances à la Baule ou à la Bourboule, ou dans n’importe quel endroit de merde qui commence par un B (Bordeaux, Biarritz, beurk !), des dimanches ensoleillés gâchés à la table de nos belles-mères, des noëls en famille et, par la suite, une retraite bouffée par une nuée de petits chiards mal élevés et braillards. Une putain de vision d’horreur !
Ce que je voulais, moi, c’était juste la baiser. Je l’ai vue, je l’ai voulue, je l’ai eue. Je voulais baiser avec elle, spécifiquement. J’ai bossé dru pour l’avoir. Un peu de frime, de l’humour, de la gentillesse non feinte. Des fleurs et des restos. Je lui ai tenu la main dans la rue. Je l’ai embrassé légèrement puis, quand elle me l’a demandé, très, très fort. J’ai résisté, je ne lui ai pas touché les fesses dans l’escalier. J’ai attendu qu’elle me dise "viens" pour y aller. Et j’ai recommencé trois, quatre, cinq fois. Après, je n’ai plus compté.
Le grand duc, quoi ! Ouais, presque de l’amour !
Et là, merde, alors que le soleil est déjà haut, elle demande :
Et après ...
Alors je prends une grande respiration. Je ne veux pas être blessant, je ne veux pas la faire souffrir. Je dis :
Heu ! Tu sais ...
Ben oui, quoi ! Tu m’offres pas un café ?
Du bon usage de la langue
"das kleine Jesus in Samtkniehose"
Blasphème ras plancher
Quand elle adore quelque chose, cette femme adorable qui me prête du temps et me donne son corps dit :
Hum ! C’est le petit Jésus en culotte de velours !
C’est marrant, mon père dit cela aussi, à propos des vins et des sauces de viande.
Je pars de chez elle vers cinq heures (Paris s’éveille, il est cinq heures, je n’ai pas sommeil) et je marche le long des grilles du Luxembourg, seul, un peu sous la pluie.
Le petit Jésus en culotte de velours !
Cette image trotte, se retourne, s’ébroue et devient libre, folle.
Je pense à un petit Jésus en culotte de peau, un peu bavarois, un peu autrichien, saoul de houblon à la bierfest de Bethléem vociférant un "Frida um papa" guttural !
J’imagine un petit Jesus sans-culotte, en braies rayées, chantant la Carmagnole (vive le son, vive le son) à la Bastille. Un coup à perdre complètement la tête !
Je saute à un petit Jésus en culotte de soie sauvage surmontée d’un porte-jarretelles tout dentelle.
Ou bien un petit Jésus en vinyle genre vieux pneus, avec des zips là, là et là ... Brrrr !!!
L’expression est ... désuète !
Aujourd’hui p’tit Jésus (yo !) aurait un pur string Calvin Klein qui lui moulerait les burnes.
Pas banal sur un calvaire !
Un calvaire de Starck en alu brossé !
Un calvaire Di Rosa en papier mâché !
Un calvaire Reynaud en céramique blanche !
Hum !
Au summum de l’exaspération, mon père jure "pute vierge".
Et là, j’ai beau chercher, j’avoue que je suis dépassé ! Complètement !
Dragueur de mine dégoupillée
« Oh fragile we are, so fragile we are ! »
Patricia Casse
Lui : "Je passe une bonne soirée. Je passe une bonne soirée. Je passe une bonne soirée. Je ..."
Elle, dans son coin : "Fais chier ! Fais chier ! Fais chier ! Fais ..."
Lui : "Je l’aime. Je l’aime. Je l’aime. Je ..."
Elle, qui boit pour oublier : "Il m’aime ce con ! Il m’aime ce con ! Je sens qu’il m’aime ce gros con !"
Lui, qui vient d’ouvrir une canette de coca : "Hum ! Hum ! Hum ! Hum !"
Elle : " Je sens qu’il va venir. Je sens qu’il va ..."
Lui, qui lévite à moitié : "J’y vais. J’y vais. Je vais, lui parler."
Elle : "Aie ! Aie ! Aie ! Aie ! Aie ! Aie, le voilà !"
Lui : "Je lui dis bonsoir et je l’embrasse. Je lui dis salut et je l’embrasse. Peut être que simplement je l’embrasse ? Non ! Je lui dis bonsoir et je l’embrasse. Je lui ..."
Elle, qui cherche du regard Véro qui n’est pas là : "S’il me touche je le castre. S’il me touche je le mords. S’il me touche, je vomis. S’il me touche ..."
Lui : "Je suis sur le point de conclure. Je suis sur le point de conclure. Je ..."
Elle : "Pourquoi je suis là ? Pourquoi, putain, je suis là ? Pourquoi je suis venue ?"
Lui, qui se retient à peine de baver : "Oui ! Oui ! Oui ! Ah ! Oui !"
Elle : "Ca m’apprendra ! Ca m’apprendra ! Ca m’apprendra ! Véro t’es une garce ! Ca m’apprendra ! Ca m’apprendra ..."
Lui, tout fort maintenant : "Salut"
Elle, qui n’arrive pas à éviter le baiser : "Breuuuup ! Wreuuuuh !"
Lui : "Ah la vache ! Elle m’a gerbé dessus. Ah la vache ! Elle m’a gerbé dessus. Ah ! La vache ... Ca pue !"
En solde de tout compte !
"Du capitalisme jusque dans l’amour"
Sophie Fontanelle
Quand Christel revient des soldes, elle pose ses paquets au milieu du salon. Il y en a tant qu’ils cachent aux quatre cinquièmes l’immense mohair bleuté où j’aime à la baiser devant la cheminée.
Sacs en toile, sacs plastiques, pochettes chamarrées, petits cartons lissés, valises bombées qui regorgent d’affaires et de trucs divers et très variés.
Attends, attends que je te montre !
Elle est gaie comme à un premier noël et commence à déchirer tous les emballages en même temps.
Son défilé de mode très très mode dure bien une demi-heure pendant laquelle je n’apprécie rien tant que les rares instants où elle est presque nue.
A la fin, elle se jette sur moi :
Mon chéri, mon chéri
Et m’embrasse très vite.
Puis elle passe la soirée à ranger le tout dans ses vastes placards. Enfin, épuisée, elle s’endort au beau milieu de notre lit.
Je n’ai jamais fait ça, fouiller dans le sac d’une femme, pas même celui de ma mère quand j’étais tout petit, mais je m’empare du sien, glisse la main au fond et trouve ma carte gold. Je la range dans ma poche.
Puis je me fais un café, je me verse un cognac et j’allume un cigare. Je retrouve Villard, délaissé pendant cet intermède et Vivaldi, calé au fond de mon chesterfield.
La nuit me prend là.
Vers midi elle m’appelle :
Ah ! Quelle honte ! Quelle honte ! Tu sais je vais pour payer, chez Prada, et je ne trouve pas ma gold !
C’est moi qui l’aie
Quoi ?
Tu l’aimes ?
Mais oui, bien sûr ! Enormément.
Elle n’a rien compris !
Kamikaze (vents divins)
« Un homme passionné voit toutes les perfections dans ce qu’il aime. »
Stendhal, cygne épris
Pour peu que l’on tienne à elles et qu’il nous apparaisse primordial de les garder un peu près de nous, les femmes qu’on aime n’ont aucun défaut.
Elles sont aussi belles qu’intelligentes et aussi intelligentes qu’élégantes. Leur pensée est claire et pure, leur parole est d’or.
Leurs ami(e)s sont sublimes, leurs ennemi(e)s ignobles.
Bien sûr, elles mériteraient d’être mieux payées que nous et hautement considérées et choyées par tout le monde.
Bien entendu, nous ne les valons pas. Leur double vie, travail et maison, les épuise et nous sommes que des lâches et des fainéants.
Elles ne se baffrent jamais comme nous pouvons le faire, mais mangent parfois un tout petit peu trop. Jamais elles ne se saoulent. Leur gaîté est alors admirable et leur humeur égale.
Il faut être très fort pour être une femme !
Cela dit ...
Cela dit il leur arrive parfois - Oh ! Pas souvent ! - d’être affligées de petits ennuis gastriques.
Et, si tant est que cela arrive, quand elles petent, ça sent la rose ! Vraiment !
Sacrifice imbécile des tentations précaires
"Non é possibile di vivere la vita sensa tu"
Edouardo Buitoni, pizzaïolo congelato della domenica y cantante maledice
J’aimerais bien que N. m’invite de nouveau à dîner.
J’aime manger en face de N. Parce que N. est belle et gourmande et que regarder une belle femme manger avec plaisir - Ah ! Ce sourire à chaque bouchée et ces frissons, parfois - laisse entrevoir des horizons nacrés et des toundras de possibilités.
J’aimerais que cette prochaine fois, nous soyons bien plus seuls, je veux dire, sans son mec. Il est charmant, son mec à N. mais ... Oui, c’est vrai, je l’aime bien, mais ...
La dernière fois, je n’ai pas pu lui parler. Librement !
Par exemple, et ce n’est qu’un exemple, je n’ai pas eu le loisir de lui dire que je l’aime encore et l’aimerai toujours. Toujours et à jamais.
Je n’ai pas pu lui dire que je l’ai trouvé affreusement désirable lorsqu’elle s’est penchée sur le plat de lasagnes qu’elle préparait amoureusement, couche après couche.
Que je fondais littéralement quand, du dos de la cuillère, elle étalait avec science la béchamel légère - elle y met juste ce qu’il faut de muscade, de poivre et de piment - et la farce odorante mitonnée quelques heures.
Que je me suis, à grand peine, retenu de la culbuter pour le compte quand elle a enfourné et que, une fois la cuisson faite, j’aurais volontiers affronté ses scrupules et effarouchements, ses pudeurs et voluptés, en un combat douteux.
Muet ! Je suis resté muet.
Et pour être certain de ne pas craquer, je me suis horriblement cramé la langue dès la première bouchée.
Sans pleurer ! Même pas mal !
Usage fécond d’une langue insatiable au beau pays de Goethe !
In berlin by the wall
You were five foot ten inches tall
It was very nice
Candlelight and dubonnet on ice
We were in a small cafe
You could hear the guitars play
It was very nice
Oh honey, it was paradise
Lou Reed - Berlin
Dans l’avion pour Berlin, ma voisine de siège n’arrête pas de jacter. Je pense "Heureusement, Berlin, c’est tout près !"
Très vite, j’apprends qu’elle est mariée à Bruno, qu’il est grand et très beau. Pourquoi est-ce qu’elle me dit tout ça ?
Quand l’avion atterrit, nous prenons le même taxi. Manque de chance nous avons des chambres voisines à l’Intercontinental de la Budapester Strasse.
Mais, étrangement, son babil me manque, vite !
Et, au restaurant, bien que je dîne avec mes amis Karl et Hans -qui parlent franzais kom les offiziers teutons dans "la grande fadrouille"- je ne pense qu’à elle.
Sans rien dire, je m’éclipse.
Je frappe à sa porte, elle ouvre en peignoir blanc, un cognac en main. Elle se défend "Je ne suis pas une alcoolique mais des fois, avec Bruno ..."
Je lui propose de sortir, elle me demande d’entrer. Et elle ajoute "Complètement", pour évacuer tout malentendu. Forcément, elle parle. Sous la douche, pleine de savon, elle cause, en marchant vers le lit, elle tchatche, je lui embrasse les pieds, elle bavasse encore. Quand je l’attaque vraiment, elle fait "oups" mais ne se tait pas. Je la grimpe, l’agrippe, la remue, la secoue, l’envahis, l’englobe, la possède, je la baise... elle papote, presque tranquillement, haletant, ahanant, vibrant, bafouillant, mais... sans arrêt ! De quoi, je ne sais pas !
Puis elle jouit, inquiétant Polonais, Ukrainiens et Tatars.
A peine a t’elle reprit son souffle qu’elle reprend "Bru... »
Je l’étrangle !
Faute avouée très peu pardonnée
"J’aurais voulu être un artiiiiiiste, pour pouvoir faire mon numérooooooo ..."
Bernard Tapie, sexe à piles
Dans le rayon, je cherche désespérément un Marc Villard. Il n’y en a plus. Plus un seul ! Epuisé ! Bêtement, je suis content, surtout pour lui.
Imaginant que je sois publié un jour, je n’envisage même pas que l’on puisse être une fois au moins en rupture sur mon stock.
Je ne serai jamais un auteur à succès !
Mes proches, même eux, n’achèteront rien de moi. Déjà qu’ils me nourrissent !
Cela dit, je les vois bien fondre sur les gratuits dédicacés que parfois, grand, magnanime, vainqueur, arrogant, je jetterai par la fenêtre ouverte de ma limousine Twingo vert pomme.
Et puis, le dimanche à midi, dans mon dos, ils me critiqueront sauvagement.
Jamais ce que j’écris péniblement n’intéressera quelqu’un. Déjà je baille en me relisant !
Lorsque nous en parlons, elle me dit "Comment ça, tu as des doutes !" et elle m’assure que je suis gorgé de talent.
Quelques semaines après, lors d’un dîner chez des amis, elle me présente Arnaud. Puis elle me dit qu’elle me quitte. Elle va vivre chez lui. Il est tellement brillant !
Ah ! Le sous-entendu assassin ! Je ne m’en relève pas !
Alain m’assure qu’elle croyait fort en moi et qu’aujourd’hui elle croit très fort en lui. Ce doit être son truc, bien à elle, de "croire très fort en...". Détestable !
Pourquoi m’a t’elle donné de faux espoirs ?
Bien sûr, je me sens miteux.
Et je pense que, si ça se trouve, sans le dire, elle simulait l’orgasme. Aussi !
Hé ! Je suis quoi, alors ?