Debout main dans la main devant le panneau ils voulaient comme des collégiens montrer qu’ils étaient désormais ensemble, ils n’avaient absolument rien retenu de ce qu’ils lisaient, uniquement attentifs au fluide infiniment doux qui passait au travers de leurs mains, long comme un vieil alcool.
Comme un collégien Antoine était persuadé et fier d’avoir fait la conquête, et comme lui il ressentait un léger doute qu’un simple regard de Roxane, qu’il cherchait et trouvait toujours, suffisait à dissiper, mais qui le travaillait en soute et remontait sur le pont lorsque, déchirement, Roxane et lui étaient séparés. Car comme des collégiens, le soir, ils se séparaient pour rentrer chez eux. Qu’est ce qu’elle avait bien pu lui trouver qui puisse déclencher une telle passion, un tel amour ? Il était plutôt petit, fluet, fade, il ne s’était jamais résolu à raser la petite moustache paille et en brosse qui, avant qu’il ne fut devenu totalement chauve, visait à détourner les regards des ravages abrasifs causés à sa fine chevelure jaune par une calvitie précoce. Blond aux yeux bleus, ouais, se regardait attentivement Antoine dans un miroir en y cherchant la réponse au mystère de l’attirance physique qu’il semblait exercer sur Roxane, mais un blond chauve ! Des yeux trop pâles et trop ternes ! Et cette ridicule petite moustache jaunasse ! Bon dieu, qu’est ce qu’elle pouvait bien lui trouver ?
Chez Antoine, ce que ne dit pas le miroir, l’émotion passe par la peau, il a le teint nacré, rose et bleu et changeant d’un ciel posé autour de cinq petits nuages au dessus du plateau du Vexin. La peau d’Antoine, le teint de son visage, les nuages et les veines de Carrare sur la peau d’Antoine, les rosissements de religieuse portée à bras au dessus d’un bourbier, à peine entrevus et déjà disparus, la peau d’Antoine est le livre de ses émotions les plus fines, la subtilité et la profondeur des émotions d’Antoine écrivent aux yeux de tous un poème vaste et beau dont ni les mots ni les rimes ne peuvent être lues avant d’avoir déjà été effacées mais qui dit tout Antoine, maintenant qu’il est chauve son intimité ne tient plus qu’à un fil, le fil de ce rasoir qu’il a levé devant le miroir, il hésite à raser sa moustache, il tord sa bouche pour offrir sa moustache au fil du rasoir, et finalement il repose son rasoir, il restera un peu de place sous les poils blondasses pour le petit doute d’Antoine, la question à laquelle n’a pas répondu le miroir elle ira s’y nicher.
Ce petit homme désuet, émotif et doux, Roxane en a tout de suite été folle. Elle l’a conduit chez elle, elle l’a longuement embrassé, elle avait les yeux ouverts et lui fermés, c’est elle qui l’a entraîné vers le lit, presque trop grand pour lui, elle l’a déshabillé et il l’aidait et longtemps elle l’a regardé, elle regardait l’océan frissonner sur la peau d’Antoine, elle suivait le parcours des ondes océanes que sont regard faisait naître sur la peau d’Antoine et il s’est mis à pousser des petits cris, il voulait qu’elle cesse et que ça continue, il a mis son visage sous l’oreiller et ses mains, ses mains à elle, se sont mises, à peine, à l’effleurer. Comme cela ils ont fait l’amour la première fois, pratiquement sans se toucher, à peine plus qu’avec les yeux de Roxane et la lumière vibrante sur la peau d’Antoine, elle avait ouvert le Velux en grand, quelques gouttes de pluie tombaient sur leur peau. Comme cela c’était la première fois, le début, le commencement, la surprise, l’invention, la fête, et maintenant ils sont comme des collégiens. Comme cela ça continue, pour la première fois Roxane fait l’amour, ils font l’amour, d’habitude c’est une histoire d’homme, trop rapide, trop décidé, trop musclé, trop solitaire, d’habitude l’homme fait comme s’il était le mari d’une femme, et c’est pour cela que Antoine et Roxane, le soir, se séparent : pas comme des collégiens, simplement pour rester amants.
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Comme des collégiens
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