C’est au pays Basque, peut être Français, peut-être Espagnol, disons que ça pourrait être en France, une de ces fermes carrées et immenses, isolées, au sommet d’une colline, on y imagine des caches d’armes et d’explosifs et ce n’est pas la guardia civil qui ira vérifier. Dans ce coin là, il avait fait des rencontres, rencontres de routard, des gens que l’on retrouve le soir à une halte, on parle peu autour du feu. Il avait fait une ou deux étapes avec eux, parlant peu, questionnant peu, cherchant comme eux à éviter la conversation avec les quelques pèlerins croisés sur le chemin, ils avaient du le trouver digne. Ils l’ont cagoulé, désorienté, c’était de nuit, ils sont montés de nuit vers la ferme, il serait bien incapable de la resituer, un guide large et silencieux comme une montagne ouvrait le chemin dans la nuit noire et une espèce de maquis, ils ont marché longtemps jusqu’à, presque, se cogner à la ferme aux murs immenses qui se perdent de partout dans la nuit, dont toutes les ouvertures ont été soigneusement aveuglées par de lourde tentures sombres comme la nuit. Il faisait très doux, il y avait une sorte d’esplanade, une grange fermée et calfatée elle aussi, ils devaient être une cinquantaine comme lui, tous cagoulés, le plus noir de la nuit avait pris la place de leurs yeux. Le grand guide avait disparu. Aucune consigne, mais tous ils se taisaient. On les a fouillé, on leur a pris l’argent demandé pour entrer, on leur a dit qu’ils pouvaient parier, ils se sont un à un glissés à l’intérieur d’un sas fait des mêmes lourdes tentures, puis à l’intérieur de la grange. Seul le ring était éclairé.
C a misé sans connaître les règles. Il a vite compris. Deux hommes en short aux couleurs contrastées, les mains liées dans le dos, boxent en silence avec leur tête, un seul round, jusqu’à ce que l’un des deux tombe ou que l’un des deux crie, à la fin le vainqueur gagnera la moitié des paris. Le plus impressionnant, c’est le silence, silence obligé des combattants, silence dans la salle, et dans le silence le choc des crânes et le halètement des corps, le choc des crânes fait un bruit de nez qu’on écrase, il se met à saigner. C a perdu sa mise quatre fois et l’a doublée une fois, à chaque combat il mise il ne sait pas pourquoi, on vient d’emporter au dehors le corps d’un Japonais, peut-être il est mort et peut-être pas, ce Japonais a tout de l’Africain, et tous les combattants aussi ce sont des Africains, mais sur les panneaux on annonce du Japonais, du Russe, de l’Italien et même du Suisse ou de l’Américain, C a vu un Japonais tout noir et peut-être déjà mort tiré sans ménagement du ring et escamoté dans l’obscurité de la salle, c’est de dernier combat, Chinois contre Roumain, le Chinois est un lent colosse noir, il a encaissé une fois, il a encaissé deux fois, on a l’impression qu’il tombe mais il ne tombe pas, il a encaissé une troisième fois, il a mis un genou a terre, il va tomber, il est persuadé qu’il va pouvoir se relever, il s’est écroulé et ne se relèvera pas. C’est fini. C avait tout mis sur le Roumain, frêle, à sept contre un, frêle mais vif, aérien et malin, le crâne dur et contondant des peuls. C encaisse son argent à l’odeur de sueur et de sang, on lui rend son passeport juste avant le sas, dehors le guide à stature de montagne les attend, dans le maquis C a jeté son argent.