Vous aurez de nouvelles instructions sous vingt-quatre heures.
C’était un message automatique, comme nous avions coutume d’en recevoir cinq à dix par jour. Ils nous informaient des mouvements de l’ennemi, de sa concentration en troupes, par le biais de plans aériens, de photographies, de relevé topométriques. Celui-ci est arrivé au matin, juste après le choc, voilà une semaine. Depuis, rien d’autre.
Plus un seul signe de vie, plus aucun contact avec l’extérieur. Pas d’électricité non plus. Ce sont les groupes électrogènes qui alimentent désormais le bunker, mais leurs capacités sont limitées, il a fallu faire des choix, privilégier l’alimentation des réfrigérateurs, des climatiseurs et des organes vitaux, au détriment de l’éclairage et des systèmes de confort.
Nous vivons dans le noir. Le soleil n’est plus visible, la zone est recouverte de nuages immobiles, si noirs qu’on jurerait un toit de métal. Nous restons connectés au réseau de communication d’urgence, l’état major pourra nous joindre par ce canal.
La nuit du choc, Reyes était de faction sur le poste de garde avancé. Je suppose qu’il est mort. Ils sont encore sept sous mon commandement. Evidemment, ça ne signifie plus grand chose dans ces circonstances. Aujourd’hui nous sommes tous égaux, et je dis ça sans démagogie, c’est une réalité : je n’en sais pas plus qu’eux, j’attends la même chose que mes hommes : de nouvelles instructions.
Je reste malgré tout leur chef. Depuis deux jours, j’ai interdit à l’équipage de parler. L’air est compté, nous pouvons fort bien communiquer sur nos consoles portatives. Ils ont du mal à accepter la consigne, comme celle restreignant l’activité physique au minimum.
Dans la pièce il y a Marmara, elle s’éloigne rarement, je perçois son souffle. Elle est mon bras droit sur ce commandement. Nous avons très correctement sympathisé depuis le début de la mission, nous discutions beaucoup quand je l’autorisais à me parler. Aujourd’hui, nous vivons emmurés, dans le noir et le silence, et je ne fais que supposer sa présence
J’aimerais lui dire que sa voix me manque, que j’ai peur, j’espère qu’elle comprend que j’ai imposé le silence pour le bien de l’équipage, pas parce que je perds pied face à la situation, comme le chuchotent certains de mes hommes depuis trois jours. Je les entends qui complotent dans mon dos...
Et s’ils avaient raison ? Peut-être n’ai-je pas les épaules pour mener mes hommes dans la tourmente, après tout, moi aussi je suis un homme... mais je suis ici pour agir, pas pour gagner en popularité.
Notre dernier capteur n’a pas relevé de signe de radio activité autour du bunker, mais il faut être prudent, il est certainement défectueux. Tous les autres ont été détruits cette nuit-là. L’idée que nous ne pouvons nous fier qu’à cette machine m’est de plus en plus insupportable.
Nous ne savons rien. S’agissait-il de bombes, d’un tremblement de terre ? Cela veut-il dire que nous avons perdu la guerre ? Pas un d’entre nous n’a le commencement d’un début d’idée. Il y eut ce choc phénoménal, et c’est comme si le bunker était tombé, une chute incroyablement longue, comme si le bunker s’était écrasé du haut d’une falaise.
Je pense que nous sommes au fond d’un cratère.
Le message était arrivé au matin. Il ne nous a rien appris. Le message disait : de nouvelles instructions sous vingt-quatre heures. Cela fait une semaine, je ne comprends pas, s’ils nous ont abandonné, pourquoi nous ont-ils abandonné ?