Ecoute-moi bien, Petit ! C’était à l’époque où j’ai connu ta mère... ou peut-être ta grand-mère... et puis même si c’était ton arrière-grand-mère, c’qui importe c’est qu’toi et moi on est d’la même famille. C’est peut-être ben la seule chose dont j’sois encore sûr.
En ce temps-là y’avait des frigos et, tu peux me croire, t’y trouvais les meilleures choses du monde et fraîches par-dessus tout ! Et à côté t’avais un évier avec des robinets (que ça s’appelait) et là, l’eau elle coulait toute seule et moi j’ai connu tout ça comme j’t’vois.
En ce temps-là notre sang circulait dans le corps : toc, toc, toc, toc... mon cœur c’était une vraie horloge, un coup par seconde que Dieu faisait. A cette époque, si tu t’entaillais (rien qu’un petit peu) le doigt, ça coulait, ça pissait le sang. Oh ! Ma mère, elle s’en est vue avec toutes les gamelles que j’prenais... mais maintenant, même si tu t’coupes un bras, y’a juste d’cette foutue purée noirâtre qui sortira un peu de la plaie. Nous, on appelait ça du « boudin » et c’était quand même dégueulasse. Et on chantait :
“Tiens voilà du boudin
Une poignée de mains
Une grande claque dans ta gueule !”
Maintenant, si t’avais pas cette pile alatomique pour faire circuler tout’cette merde, déjà qu’tu peux plus bouger, tu pourrais même plus m’écouter ! En ce temps-là, petit, on marchait ! Même qu’on se baladait, comme ça, pour rien, juste l’Aventure, sans raison :
“Dans la troupe
Y’a pas d’jambes d’bois
Y’a des nouilles
Mais ça n’s’voit pas
La meilleure façon d’marcher
C’est encor’la nôtre
Suffit d’mettre un pied devant l’autre
Et d’recommencer.”
Tu vois, en plus on s’amusait et on rigolait et on transpirait et... Ah ! Maintenant ça risque plus. Y’a pas le droit puis y’a plus d’eau. Déjà qu’on pisse plus et qu’on fait des crottes que d’mon temps celles des chèvres elles étaient moins dures... Et qu’on avait des chasses d’eau et des chiottes ! Mais là c’est trop compliqué. Tu comprendrais rien. Puis y’avait des mers avec de l’eau salée... oui, plein et des vagues et on se baignait même la tête sous l’eau et, tu peux me croire, juré, j’y suis été ! Et des montagnes avec d’la neige, une poudre blanche mais froide et qui tombait du ciel, des glaciers ! Tout des mots qu’ont disparu...
Avec ta mère... ou ta grand-mère... puis on s’en fout d’qui que c’était. C’est pas ça l’important : de l’eau tellement dure que t’y marchais dessus sans même t’enfoncer ! En ce temps-là, y’avait du vin. Ah ! Ce que c’était bon, liquide, rafraîchissant, et ça t’montait à la tête et ça t’donnait de ces idées folles ! Bon dieu ! C’était autre chose. Après ils ont ben essayé de presser des raisins mais tout secs. C’était vraiment pas pareil puis ça finit comme tout : en poudre. Tu m’étonnes qu’on soit aride dans l’dedans et l’dehors.
Moi j’m’souviens... merde, j’sais plus. J’suis fatigué de rien, de rien faire. Economisez l’eau ! Qu’ils glapissent. Mais on peut pas économiser quelque chose qu’existe plus ! Moi j’t’dis, c’est tout de la propagande. Ils cherchent juste à te bourrer le mou pour se faire réélire.
De mon temps, on se prenait une suée, ça nous glaçait le sang, on se pissait dessus... tout ça a disparu. Tu peux pas imaginer ce que ça faisait et t’as beau être de la famille, j’vois pas pourquoi j’perds mon temps à t’expliquer. Nous on appelait ça des momies et qu’est-ce qu’on a déconné quand on allait les voir à Saint-Bonnet-le-Château ! P’tain de trouilles qu’on se faisait avec les copains ! Toi, t’es quoi d’autre ? Tu peux même pas fermer les yeux : ECONOMIE ! Momie ! T’es rien d’autre que ces foutues carcasses d’autrefois clouées au mur ! Et comment qu’tu veux faire des gosses ? Hein ? Tu peux pas bander ! Puis réponds pas. T’as raison... t’es rien sans ta machine à vie.
En ce temps-là, on s’regardait quand on s’parlait. On était poli, nous ! Puis on avait intérêt à filer droit : à la maison, à l’école, au boulot ! On était des hommes, des VRAIS hommes !
Petit ! Dis-moi qu’tu m’écoutes. Fais au moins un signe que j’m’essouffle pour rien devant ce p’tain d’écran ! Tu veux me faire pleurer ?
Numéro 512, votre temps de connexion émotionnelle est terminé. Veuillez reprendre votre état normal et retournez en léthargie. Faites recréditer votre compte pour recommencer. Merci..........