Ce matin là comme tous les matins Jean Paul se réveilla à dix heures trente.
Il s’était pourtant juré de mettre son réveil plus tôt , mais bien évidemment il ne l’avait pas fait.
Il voulut mettre un pied par terre mais il n’en avait plus ,il regarda autour de lui et tout semblait normal .
L’appartement était bien là ,le bordel y régnait en force et l’odeur de renfermé aussi .
Soudain il vit un homme nu sortant de la douche.
Même si il était de dos il le reconnu de suite.
En effet il le connaissait bien et même très bien puisque c’était lui.
La première chose qui lui vint à l’esprit c’est qu’il faisait un mauvais rêve .
Il voulu se pincer , mais dépourvu de tous membres il ne le put.
Il n’avait plus de corps , plus aucune matérialisation physique et pourtant il voyait et entendait.
Mais qui était donc cet homme qui avait son exacte apparence ?
Peut être son frère jumeau lui faisait il une mauvaise farce ?
Effectivement cela aurait put être une excellente explication, mais il y avait un léger problème : il était fils unique.
Jean Paul se mit alors à crier , il s’entendit vociférer :
-Hé ho qui es tu ?
Mais là point de réponse , l’autre lui s’était assis à la table de la cuisine et dégustait paisiblement son café.
Il ne semblait ni voir ni entendre Jean Paul.
Jean Paul se demandait s’il n’était pas devenu fou , il tenta de se réveiller une fois de plus mais cela ne changea rien.
Il vivait décharné et ne pouvait intervenir ou communiquer avec cet autre lui.
Il pensa alors à une punition divine : comme à l’accoutumé il s’était réveillé à la bourre , de toutes les façons il était toujours en retard , il fallait bien qu’il le paye un jour et ce jour était venu .
Il était en retard sur lui même et était condamné à se regarder vivre.
Il pensait que c’était injuste ( citation reprise à son philosophe préféré Caliméro).
Néanmoins il devait bien y avoir un moyen de récupérer sa vie.
Il se demandait aussi comment l’autre Jean Paul pouvait vivre sans lui.
Mais en fait l’autre, cela ne semblait pas le gêner le moins du monde , d’ailleurs s’en était il aperçu.?
Jean Paul aurait voulut se recoucher, se rendormir, oublier tout cela et repartir du bon pied .
Mais pour l’instant il n’en avait toujours pas.
Il prit alors son mal en patience et s’observa.
La première chose qu’il constata c’est qu’il buvait son café comme un porc en faisant du bruit et en foutant des miettes de pain partout.
Puis il se vit une fois son déjeuner terminé partir pour le bureau.
Le trajet ne dura que deux secondes.
En fait de bureau il s’agissait de son salon ou il effectuait des tâches comptables pour un cabinet du même nom
C’est ainsi qu’il se rendit compte qu’il ne travaillait pas énormément et que les pauses cafés étaient plus fréquentes et plus longues que les pauses travail.
Jean Paul se demandait comment il avait été exclu de sa propre vie ,comment il était devenu un simple spectateur de son existence ?
N’avait il pas un rôle nouveau à assurer ?
De ceci il fut convaincu lorsque l’autre partit chercher un paquet de cigarette .Il se rendit alors compte qu’il était obligé de le suivre .
La il s’aperçu vite qu’il n’était pas le seul à se suivre mais que tous les humains avaient derrière eux leur double qui flottait dans les airs.
Sans apparence particulière, comme une sorte de halo à peine lumineux.
Ils pouvaient se voir entre eux mais restaient invisible au genre humain fait de chairs et d’os.
S’ils ne pouvaient communiquer avec les hommes, étaient ils capables de le faire entre eux ?
Il risqua ainsi une entame de dialogue avec le double de ce mec qui comme Jean Paul attendait impatiemment ses clopes devant la jolie buraliste.
-Salut tu fais quoi là derrière ce mec ?
- A ton avis pauvre con, je m’amuse ?
-Non mais répond moi !
Quel est ton rôle et depuis quand es tu derrière lui ?
-Depuis qu’il est né pauvre loque , comme toi tu es derrière ton connard depuis qu’il a vu le jour.
-Ha mais non, moi je suis derrière lui depuis ce matin seulement !
-Tu me prends pour un con ou quoi c’est impossible !
Tu veux me faire croire que tu n’es là que depuis quelques heures !
Et avant tu étais ou ?
Je m’excuse pour la répétition répétitive du mot con , mais cela atteste que la scène se passe dans le Sud Ouest putain con, le langage y est fleuri.
En fleur donc le langage tout comme les jardins , les fusils et les bites.
-Hé bien j’étais de l’autre côté , j’étais l’homme en chair et en os.
-Alors tu t’es bien fait baisé la gueule, normalement ça ne doit jamais arriver. Tu aimerais bien retourner dans ton corps, pas vrai ?
-Oui c’est exactement cela , je voudrais retrouver ma vrai vie.
-Ainsi ton inconscient (c’est comme cela qu’ils nous appellent) t’aurait fait faux bond et aurait pris ta place !
Alors là je lui tire mon chapeau car aucuns de nous n’a réussit ce tour de force.
- Oui c’est cela c’est sûr, mais comment a t-il fait ?
Quel est votre rôle habituel à vous les inconscients ?
-D’abord ne dit pas vous, dit plutôt nous car maintenant tu fais partie des nôtres et à mon avis c’est pour un bon moment.
En ce qui concerne le rôle qui nous est attribué c’est assez vague mais pourrait se résumer par "un grain de folie salutaire".
Les cigarettes achetées, et la buraliste envolée,
le nouveau Jean Paul rentra chez lui flanqué de son nouvel inconscient.
Il alluma un clope qui partit en volutes nauséabondes et pourtant salvatrices, était il conscient de ne plus être inconscient ?
Apparemment oui car c’est bien lui qui avait fomenté ce mauvais coup et il semblait heureux dans cette nouvelle existence.
Mais pour pouvoir jouir de tous ces nouveaux sens il devait s’appliquer à singer les attitudes et les réactions de l’ancien Jean Paul.
Ce n’était pas si difficile que cela puisqu’il l’observait depuis plus de trente ans déjà.
A lui les plaisirs de la bouche , du corps , du sexe.
Sylvie son amie arriva vers 20 heures et c’est elle qui allait le dépuceler alors qu’ils faisaient l’amour ensemble depuis plus de quatre années.
Et tout se passa comme d’habitude.
Jean Paul le vrai , le nouvel inconscient ne gouttait guère le fait de voir l’autre lui sa taper sa copine et il ne pris aucun plaisir contrairement aux autres fois.
Il tenta de brancher le halo de Sylvie , on reconnaissait les halos féminins au rouge à lèvres qu’ils portaient.
Celle ci refusa ses avances arguant du fait qu’elle préférait les grands blonds.
Il laissa tomber.
Il fallait réagir vite, retrouver sa vrai place, mais comment y parvenir comment convaincre l’autre qui semblait bien s’amuser de reprendre son ancien boulot.
Vers deux heures du matin Jean Paul s’endormit et c’est la que l’inconscient........
Pour plus de facilité posons le théorème suivant : Jean Paul le nouveau sera nommé Jean Paul 1° et Jean Paul l’ancien et nouvel inconscient sera nommé Jean Paul 2.
......Jean Paul 2 donc saisit enfin son rôle : il devait apporter dans les nuits de Jean Paul 1° tout ce que ce dernier ne pouvait réaliser dans sa vie éveillée.
Ainsi grâce à lui Jean Paul 1° pouvait-il voler , baiser , tuer, se trouver face à des situations impossibles sans que cela n’ai pratiquement aucunes conséquences sur sa vie.
Le problème pour Jean Paul 2 c’est qu’il n’avait aucune expérience de son nouveau métier car contrairement à Jean Paul 1° il ne l’avait pas étudié pour être en mesure un jour de le remplacer.
Mais Jean Paul 1° avait il réellement besoin maintenant de Jean Paul 2 pour assurer le rôle d’inconscient ?
Lui qui connaissait parfaitement les deux fonctions réussirait t’il à pouvoir vivre sans l’aide de Jean Paul 2 ?
La première nuit passa , morne et éveillée..
Jean Paul 1° n’avait pas pensé que si effectivement en théorie il avait la capacité de tenir ces deux rôles , dans les faits il ne pourrait y parvenir.
Lorsque le sommeil venait frapper à la porte, la partie consciente et inconsciente ne faisant désormais plus qu’une, l’une ne pouvait inter agir sur l’autre.
Au moment ou il s’endormait, et alors que son rêve commençait, à cet instant précis il manquait le bon wagon, et il se retrouvait alors comme dans le néant mais avec la conscience de ce néant comme si la case rêve ne s ’était pas enclenchée totalement et comme si la case éveil ne s’était pas entièrement vidée.
Il lui semblait alors devenir fou comme submergé par une angoisse phénoménale le faisant presque basculer dans le « rien » mais qui heureusement ne durait que 1 à 2 secondes juste avant que la case éveil ne se ré-enclenche totalement.
De fait il ne dormait plus.
Les nuits étaient donc mortes et les journées bien que trépidantes car nouvelles devenaient rapidement épuisantes.
Jean Paul 2 lui observait le 1 s’épuiser à vouloir vivre seul, il le voyait dépérir .
Il lui fallait donc agir , reprendre sa place à tous prix ou disparaître.
En effet l’affaiblissement de Jean Paul 1° semblait affecter la santé de Jean 2 et si dans l’histoire du catholicisme la mort de Jean Paul 1° avait permis l’avènement de Jean Paul 2 , dans la vie de celui que l’on a ici nommé Jean Paul 2, la disparition du premier Jean Paul risquait de signifier la mort du second.
Il fallait donc comprendre comment l’inconscient avait pris la place du vivant.
Par chance c’est en observant Jean Paul 1° arriver en retard au rendez-vous que lui avait donné Sylvie que Jean Paul 2 fut pris d’un vertige.
Ce con était toujours en retard mais qu’adviendrait il s’il avait toujours 30 secondes d’avance.
Il pourrait répondre au téléphone 30 secondes avant qu’il ne sonne, il répondrait à son interlocuteur avant que celui ci ne lui ait posé une question.
Devrait il faire l’impasse sur telle ou telle question et perdre le bénéfice de ces trente secondes d’avance afin de pouvoir continuer normalement la conversation ?
Il éjaculerait dans Sylvie 30 secondes avant de jouir , ou alors il jouirait-il 30 secondes avant d’éjaculer.
Il faut toujours un repère fixe pour qu’un retard ou une avance puissent être formels , mais tout dépend du repère choisit.
Le repère ici , est ce le temps ou le moment ?
Jouir en avance ou éjaculer en avance ou grouper les deux qui se passerons en avance sur le temps ?
Il n’ arriverait jamais en retard pour prendre son train, et lorsqu’il arriverait avec une heure d’avance il aurait en fait une heure et trente seconde d’avance.
Devrait-il attendre alors pour prendre son train une heure et trente secondes ou 59 minutes et trente secondes ?
Ses idées prendraient forme trente secondes avant qu’il ne les aient pensées.
Ses pensées ne savaient plus où donner de la tête . Et l’inconscient devint fou et pour que la folie s’évacue il faut qu’elle se matérialise par quelque chose de concret, comme quand l’esprit est en surchauffe et faut le refroidir avec un verre d’alcool ou avec une activité physique.
Un inconscient qui réfléchit de façon cartésienne est un inconscient mort qui ne peut poursuivre sa vie que dans le concret.
C’est de cette façon que Jean Paul 2 se "matérialisa" en chair et en os et se retrouva face à un jean Paul 1° tout penaud .
Ce dernier compris vite la supériorité de Jean Paul 2 à qui il n’avait fallut que soixante douze heures pour retrouver la porte d’accès vers la vie terrestre.
Les deux Jean Paul se serrèrent la main et le Deux bientôt promu en première division dit à l’autre :
-il faudrait que tu retournes au bercail !
- Je n’en ai guère envie !
Je me sens si bien dans cette nouvelle peau, pourquoi ne cohabiterions nous pas ?
-Parce que ce n’est pas possible !Tu n’est pas possible !Tu ne vois pas que nous courrons à notre perte.
-Mais si, on y arrivera . Tu verras je t’aiderais !
- Tu m’as déjà bien baisé , je ne te fais plus confiance !
- De toutes les façons si nous savons comment passer d’un côté à l’autre nous ne savons pas faire l’inverse ! Alors....
-Alors je vais te tuer , tant pis pour les conséquences .Je préfère mourir par ma propre volonté que par la tienne !
Les deux Jean Paul partirent dans un corps à corps insensé et chaque fois que l’un portait un coup à l’autre , c’est l’un qui avait mal.
Ils stoppèrent le combat .
Puis Jean Paul 2 s’empara d’un couteau de cuisine et se trancha lui même les veines.
Mais c’est Jean Paul 1° qui s’écroula et se vida de son sang. Lorsque la mort de Jean Paul 1° fut venue, Jean Paul 2 se sentit fort dépourvu et se volatilisa au même instant.
Deux jours plus tard Sylvie , inquiète mais blonde se rendit dans l’appartement de Jean Paul.
Elle sonna mais personne ne répondit elle pensa alors qu’elle possédait un jeu de clefs.
Elle entra et horrifiée découvrit le corps sans vie de son ami.
Elle appela la police
- Police , Police !
Puis se ravisant elle prit le téléphone et composa le numéro qui la mit en relation avec les hommes en bleu.
Les flics ne furent pas longs à se rendre sur place.
Les constatations d’usage terminées et la volaille rentrée au bercail il fallut moins de deux heures pour que le rapport soit tapé.
Il évoquait le suicide collectif d’une seule et même personne.