Ses origines remontaient aux grecs et aux phéniciens qui avaient occupé la Sicile durant des décennies.
Il avait aussi du sang romain par le biais des colonies installées dans cette île de toutes les convoitises par l’empereur Auguste après la première guerre punique. Presque tous les peuples de la terre étaient passés sur cette attirante catin de l’antiquité.
Médecin de son état, il finissait paisiblement son existence après s’être rendu célèbre en s’occupant, au péril de sa vie, de milliers de malades de la peste lorsque cette malédiction s’était abattue sur Palerme. D’ailleurs son nom figure dans certains dictionnaires et livres d’histoire italiens.
Il s’appelait Claudio Alaïmo.
Très curieux de nature, il avait consacré la majeure partie de la fin de sa vie à reconstituer sa généalogie. Et il avait passé des années à rechercher l’origine de son nom.
Combien de chandelles n’avait-il pas usées à compulser d’antiques ouvrages dans l’immense bibliothèque secrète de l’abbaye Santo Guido della Risurrezione d’Agrigente ?
D’ailleurs, c’est en sa qualité de médecin ayant secouru les pestiférés et au nom de la Rosa, sa défunte épouse, qu’il avait obtenu du moine superieur l’autorisation exceptionnelle de consulter les très anciens parchemins et les livres interdits qui narraient l’histoire, parfois inavouable, de ces alchimies de peuples de la méditerrannée dans le creuset sicilien avec leurs intrigues diaboliques, leurs obscènes pratiques païennes, leurs terrifiants massacres, leurs viols et autres atrocités.
Jusqu’au jour où il découvrit enfin que le nom d’Alaïmo venait de l’arabe El Halim qui signifie le sage, l’érudit.
Il n’en était pas peu fier et, en même temps, il disait d’un air gourmand à qui voulait bien l’écouter, que c’était une aïeule grecque, fille d’un sculpteur renommé et d’une très grande beauté, qui avait fauté avec un prince phénicien, grand philosophe et mathématicien. Quant à avoir une ascendance illustre, autant qu’il s’agisse de la fille d’un artiste dont on peut encore admirer les œuvres et d’un seigneur cultivé de Phénicie.
Il faut préciser à ce stade du récit que Claudio était doté d’une imagination débordante. “La folle du logis”…
Nul n’ignorait qu’il était aussi hâbleur. Il prétendait même être un visionnaire.
Le mélange de tous ces sangs bouillonnants lui était sans doute monté à la tête à la tombée de son existence.
Il avait également un côté farceur et, de ce fait, personne ne savait si ce qu’il racontait sur ses ancètres était vrai ou totalement inventé.
Son cercle d’amis l’écoutait avec le respect dû à son âge et ses services rendus, chacun hochant la tête avec le plus grand sérieux mais sans en croire un mot.
Claudio s’était retiré là où il était né, dans la petite ville côtière de Porto Ampedocle, près d’Agrigente, qui avait été durant des décennies un comptoir grec.
Très affaibli et alité depuis des semaines, "sentant venir sa fin" (prémonition ?), il fit mander à son chevet son fils cadet.
Ses onze autres enfants (légitimes) étaient disséminés un peu partout dans le monde, du moins celui qui n’était pas trop difficilement accessible à l’époque.
Ainsi il racontait que son fils ainé était parti en Gaule où il faisait une brillante carrière de Ministre des Potiches (tel le vase de Soisson) auprès de Pépin le Bref, ainsi dénommé, comme chacun sait, à cause de sa petite taille qui l’obligeait à porter des chaussures à talons surélevés.
Quant à l’ainée de ses filles, il prétendait qu’elle avait émigré en Grèce où elle s’était rendue célèbre grâce à ses dons pour le chant. Elle avait, parait-il, épousé un armateur richissime. Claudio exagérait sûrement ou alors il se trompait de siècle, la chronologie de ses visions ne devant pas être très précise.
Mais il avait bien un fils cadet qui vivait de rapines à Syracuse - que le père aurait tant aimé voir avant que sa vieillesse ne l’use complètement - alors que Claudio racontait que son fils était banquier … quoique … passons. Encore une vision !
Il tint alors ("à peu près") ce langage à son cadet :
“ Je ne vais pas tarder à rejoindre nos ancètres mais, avant cela, je dois te confier un secret très important pour l’honneur de notre famille.
J’ai eu la nuit dernière une sombre vision d’un avenir très lointain où l’un de tes tout aussi lointains descendants utilisait une plume et un encrier pour raconter nos origines en me faisant passer pour un menteur.
Il ne faut à aucun prix qu’il en soit ainsi. Aussi mon fils, jure-moi de transmettre l’histoire vraie de notre illustre famille à tes descendants et, eux-mêmes, à leurs descendants et ainsi de suite de générations en générations jusqu’à ce siècle si éloigné du nôtre où j’ai vu les ramifications diaboliques d’une toile gluante couvrir le monde entier.”
Il jura et Claudio s’éteignit, l’âme en paix.
Manifestement, le fils cadet ou ses descendants n’ont pas respecté la dernière volonté de feu Claudio Alaïmo, ou alors la consigne s’est perdue, car cette histoire de famille est une pure affabulation … quoique !