Je me souviens de cette terre irrésolue où le sel de pierres de lune bordait le miel des dunes.
Des langueurs parfumées me guidaient en me montrant le chemin et je savais que les vipères corail et les gerboises effrayées me donneraient leur passion dans cette mer minérale immobilisée par une éternelle beauté.
J’ai vu à l’horizon le balancement des caravanes qui ciselaient l’azur et défiaient le temps en foulant le sable havane, me laissant immobile dans ma tragique insouciance.
Temps statufié qui me hurlait des tragédies ; celles à venir dans le béton de villes sales hantées comme des égouts par des vilénies plus acérées que des pointes d’obsidienne.
Mais je n’entendais rien, comme si l’éternité retenait ma carcasse accrochée aux flancs blancs des porteurs de sel, là-bas, sur le fil qu’ils parcouraient tels des funambules indolents.
Et dans le silence brûlant qui m’éblouissait et m’empêchait de comprendre mon bonheur taillé dans l’ivoire caramel d’un astre lisse, je n’entendais pas le cri du fennec qui me prévenait d’un avenir plus opaque que le regard d’une femme morte.
J’étais trop envahi par la sensuelle douceur de cette houle chaude sous le baldaquin de cieux laiteux, volupté immobile qui me chantait la tendre mélodie de ses courbes, telles celles d’une amante de légende.
J’ai senti là-bas les vents violents charriant des nuées d’éclats les rendant consistants comme des nuages de sauterelles avides, tels des ogres à la recherche d’enfants perdus, et qui mangeaient le soleil, juste avant que la tornade noire n’abreuve de ses cataractes le lit des oueds desséchés.
Brutalité inouïe d’un déluge biblique, à la mesure de cet univers de la démesure, les eaux roulant mon oubli dans leurs tourbillons de renaissance.
Ah ! pourquoi ne me suis-je donc pas demandé alors si je me souviendrais de ce royaume lorsque viendrait le temps des épées et des boucliers fracassés ?
Mais je me souviens ! Et j’oublierai la laideur et les ricanements, les injustices et les indifférences maculées d’aurores aux aveux oubliés, de serments aussi évanescents que la rosée dans le désert.
Oui j’oublierai, et ce sera ma revanche immanente, tout autant que je me souviendrai à jamais du regard de braise de ces jeunes filles hâlées, belles et sauvages comme des gazelles sablées, plus pures que tous les diamants aux doigts des mondaines.
Elles allaient fièrement remplir en riant au puits miraculeux leurs outres noires qu’elle gorgeaient d’eau de la vie. Perles brunes je vous aime à jamais dans un élan gravé au fronton des empires bâtis pour l’éternité tandis que s’écrouleront dans l’oubli les temples vides des apparences.
Et je sens encore dans mes veines couler le rite du thé brûlant, âpre et trop sucré, tel le paradis artificiel d’un puissant élixir enivrant, que les hommes bleus partageaient dans l’extrême pudeur de leur fière convivialité.
Hommes de toujours aux énigmes transparentes qui, dans leur noble vérité, nous rendent bien dérisoires dans nos vaniteux déguisements.
Femmes touaregs, filles du désert et de la plénitude des émotions vraies, vos rires et vos regards profonds me parlent encore et toujours de l’amour que jamais ne déguiseront les fards et les manipulations des civilisations pourrissantes.
Je revois aussi la tour hexagonale de la mosquée d’Agadès faite de banco brun, terre glaise du berceau de l’humanité, plantée comme une obélisque dans le dos des marionnettes de notre temps, au beau milieu du marché infusé de couleurs criardes où l’astre implacable soulevait des poussières aux senteurs d’épices.
Des femmes en boubou chamarrés choisissaient des filets de viande bleue qui se balançaient lentement aux crochets des étals des bouchers. Des nuées de mouches y pondaient leurs œufs, mais là-bas les chairs viciées n’habitent pas les âmes.
Passez votre chemin, oiseaux de mauvais augure !
Je sais depuis ces temps anciens que la viande faisandée a donné naissance au peuple des asticots qui parlent de leur avenir de mouche, mais l’obélisque immuable est vivante dans mon cœur tout aussi sûrement que vous passerez, tandis que mes souvenirs resteront accrochés aux haillons d’une pureté et d’une authenticité sans pareil.
Ô ma perle de dune à la beauté vertigineuse, c’est à toi que je dédie les lambeaux d’amour qu’il me reste et que les vautours ne pourront arracher.
Sauve-moi !
Toi seule connais la ferveur qui console les enfants aux immenses yeux tristes et affamés de tendresse, égarés dans l’enfer d’un chaudron où mijote l’indifférence des fausses sensibleries.