En général j’évite le miroir placé dans l’entrée, mis la pour que ma mie adorée puisse se recoiffer, s’ajuster et, en belle coquette, jouer la midinette.
Alors pourquoi ce regard en coin ce matin ?
Quelle idée ! Cet œil distraitement jeté m’a laissé sans voix...
Il y avait là un homme qui ressemblait vaguement à l’enfant que j’e fus, le même regard, le même sourire, rides et bedaine en plus, cheveux en moins... .
Pfff ! La tête qu’il a ce mec là... c’est pas possible, c’est pas moi... c’est fou !
Pourtant je t’assure, dis-je à l’autre, à l’intérieur... je souris, pudique et tout, je me sens encore... ...tellement... neuf... poussé par le sentiment qu’il me reste encore tout à faire... .
Et l’autre de répondre poliment à mon sourire, comme le ferai un ami qu’on a pas vu depuis longtemps... Alors que vouliez-vous que je fasse... forcément je l’ai invité à dîner... un tête à tête pour se retrouver et se souvenir.
J’ai envoyé mon autre moitié chez sa mère, passé la matinée à mettre de l’ordre, à préparer le repas, j’ai mis un costume foncé (ça amincit..) en toile fine, j’avais déjà assez chaud comme ça, quelle incroyable histoire ! J’allais rencontrer mon double inversé, mon moi à l’envers, pouvoir faire le clown avec mon clone... C’est pas donné à tout le monde !
Et le voilà qui s’arrache du reflet comme une vulgaire décalcomanie, on se serre la pince, on dîne, on s’avine, on désert la ceinture, on caféine, on nicotine, on se ressert une dose de confidences aigres-douces, on parle jusqu’à plus soif, l’école, l’armée, les boulots, le glauque, la routine, les espoirs, la vie, les filles, le mariage, les enfants, le boulot, ..., le manque d’aventure, une vie bien remplie, une vie bien normale... Rien d’anormal... Juste la banalité grise qui dégrise... . ! ! Et v’là qu’il m’fout en boule ce rabat joie ! Quel fils d’individu alors ! Qu’est-ce qui lui prend à ce sauvage de me saper le moral de la sorte !?
Je comprends enfin le doute qui me taraudait lors de cette rencontre du second type !
Clair que je ne connais pas ce vieux con là !
Je coupe court, je le reconduis poliment mais fermement : "c’est ça, merci pour tout, bonsoir à Alice, à la prochaine, on se mire et on déjeune" !
Je titube vers mon lit, perturbé plus que bourré, ce face-à-face avec cette armoire à glace m’a usé, je me retrouve seul, face à moi...
un peu plus seul encore ..!