Pour la vingtième fois, Hubert Seveer, astrophysicien de renommée internationale, refit tous ses calculs. Il ne pouvait se résoudre à croire à sa découverte.
Durant des heures il vérifia que les puissants calculateurs qu’il faisait tourner en boucle n’étaient pas victimes d’un virus informatique ou ne s’étaient pas égarés dans des connexions erronées en traitant des milliers d’informations complexes.
Il contrôla également les sources, les capteurs et les triangulations de son radiotélescope, monstre de la technologie la plus avancée, et s’assura qu’aucun phénomène parasite ne faussait la nature des radio-éléments enregistrés.
Il mesura une fois de plus le champ magnétique, la force gravitationnelle et la température environnantes, vérifia à nouveau les données de la météorologie et du temps astral.
Son extrème rigueur fut mise à rude épreuve mais il ne décela aucun dysfonctionnement ni anomalie.
De la sueur commençait à perler sur son front.
Lui qui était habituellement si calme et posé, peu enclin à se laisser impressionner par les dimensions vertigineuses de son domaine de recherche, il fut pris d’un tremblement fébrile et ressentit pour la première fois une certaine sensation de panique. Il en était presqu’à douter de sa propre santé mentale.
« Non, ce n’est pas possible ! se dit-il, il doit y avoir dans le champ de mon observation une masse de matière sidérale très dense que je ne vois pas, un trou noir peut-être, qui émet des rayonnements qui faussent tous les paramètres. »
Mais ce n’était pas le cas. Après avoir collationné toutes les données une ultime fois, il parvint au même résultat.
Sa stupéfiante découverte remettait totalement en cause tout ce que l’on connaissait sur l’univers depuis Galilée jusqu’à la preuve du Big Bang. Même les théories de la Relativité Générale et Restreinte devenaient sans objet. Comme si, d’un seul coup, il se retrouvait face à un espace totalement inconnu qui ne répondait plus à aucune des lois physiques qui le régissaient jusqu’alors.
Echevelé, le regard halluciné, après trois jours et trois nuits passés à reprendre ses équations et à étudier les impacts des particules cosmiques qu’il avait captées, il devait admettre la sidérante conclusion.
Le soleil n’existait pas ou, plus précisément, il n’était pas réel en tant que tel.
Ce n’était qu’un gigantesque miroir qui reflétait la lumière et la chaleur d’un autre astre.
Impensable ! Comment un tel phénomène avait-il pu tromper les scientifiques depuis des lustres ? Aveuglés par leur savoir, les hommes sont de bien piètres naïfs face à l’ingéniosité de la nature. Elle se joue de leur mégalomanie.
« Mais alors, se dit-il, où se trouve donc la source originelle ? »
Il se mit aussitôt à rechercher l’étoile réelle dont le miroir solaire se contentait de renvoyer l’image. Mais à chaque fois qu’il croyait l’avoir identifiée, il observait qu’il s’agissait encore et toujours d’un autre miroir.
De proche en proche, Hubert mit en évidence que le Cosmos se déclinait en un gigantesque jeu d’innombrables miroirs qui se renvoyaient l’image d’une étoile, de ses planètes et autres objets célestes.
Système unique dupliqué à l’infini et qu’Hubert essayait frénétiquement de situer. Son obsession était telle qu’il oubliait d’en dormir et manger, rivé à son radiotélescope.
Mais il réalisa que la probabilité de le trouver au milieu de ce que l’on croyait être jusque-là d’innombrables galaxies composées de milliards d’etoiles était nulle.
Epuisé, totalement abattu, il y renonça. Il fallait qu’il sollicite le concours des autres astronomes, physiciens et mathématiciens du monde entier pour avoir une chance de détecter le système original unique sans se laisser berner par l’infinité des reflets.
C’est alors qu’il réalisa la terrifiante signification de sa découverte.
« Si le système solaire et, donc, notre planète, ne sont que des reflets, se dit-il, je ne suis moi-même que la réplique virtuelle d’un astrophysicien qui vient de faire cette découverte quelque part dans l’Univers ».
Hubert se leva d’un bond pour aller se regarder dans la glace des toilettes de l’observatoire. Il se mit à faire des grimaces et des gestes incongrus, comme pour se moquer de l’image de l’autre. Le vrai. Celui qui au même instant devait faire la même chose devant sa glace, à des millions d’années-lumière.
Il prit alors conscience que ce n’était pas lui mais l’original qui était le « dieu » qui décidait et prenait l’initiative de faire des grimaces. Non pas Hubert qui n’était qu’une copie virtuelle, un double inversé. Hubert ou Trebuh Seveer ?
Quelqu’un frappa à la porte de la chambre et l’entrebailla.
Hubert reconnut l’image conciliante de l’homme en blouse blanche qui en passant la tête lui dit : « Allez Professeur, c’est l’heure de la promenade et aujourd’hui vous ne pouvez vous y soustraire car cela fait déjà plusieurs jours que vous n’êtes pas sorti »
Hubert réfléchit un instant pour essayer de deviner si l’original allait obtempérer.