Elise n’a plus rien de vivant ce soir. Seul, le cri coincé au fond de sa gorge atteste qu’elle existe. Existe... Existe t-elle vraiment ou est-ce un fantôme qui a pris sa place ? Si c’est le cas, elle s’en moque, qu’il fasse ce qui lui plait. Elle ...elle plonge dans un monde où personne ne peut la rejoindre. Que s’est-il passé pour qu’elle arrive au point de non retour ?
Tout avait bien commencé, elle avait une enfance et une jeunesse heureuse au près de son père, avocat de renom. Il défendait les causes perdues avec un tel acharnement qu’il gagnait ses procès. Sa mère ne travaillait pas, pourquoi, l’aurait-elle fait ? Mona comme l’appelait si gentiment son mari descendait de parents riches. Mona prenait simplement le temps de vivre sans s’occuper du malheur ou du bonheur du monde. Mona était indifférente à tout de la vaisselle à sa fille mais Elise s’en moquait. Elle avait son père et sa nounou qui l’adoraient et passaient tous ces caprices ... jusqu’à son passage au pensionnat.
Ah ! Le pensionnat ! Une prison oui ! Réveil à six heures, la lumière du jour était souvent absente, faire son lit, sa toilette, le déjeuner ne passait qu’après la prière alors ... qu’elle crevait la dalle. Ecole privée dirigée par des religieuses disait son père, des peaux de vaches pensait Elise qui passait son temps à leur faire voir de toutes les couleurs. Il n’y avait pas de garçons et le seul mâle qu’elle y voyait était un curé aussi décrépi que les bonnes soeurs. Il passait deux fois par semaine pour la confession et la messe. Elise n’y resta que quatre ans, bien trop longues années ... pour elle. Elle n’eut même pas son brevet mais elle s’en moquait puisqu’elle vivrait comme sa mère, protégée de tout souci. Elise aurait pu profiter de cette vie pendant des années... Ce qu’elle fit jusqu’au jour où ... son père en rentrant d’un procés, s’est engagé sur une passerelle bien legère qui avait été installée en attendant que les travaux de la route soit terminés. Elle menaçait de s’éfondrer à chaque instant. C’est ce qu’il fit ce jour là ... Elle s’est éffondrée sous le poids de l’avocat... Il fut tué sur le coup.
Ne pensant pas mourir si jeune, il n’avait rien prévu pour protéger sa femme et son unique fille . Elles se retrouvèrent toutes les deux , à la sortie de chez le notaire démunies de tout. Le seul bien qui leur restait était cette immense maison, confortable certe mais dépensière comme Mona qui sombra dans la folie. Ses pauvres nerfs n’avaient pas résisté à la tragédie. Elise dut licencier leurs ouvriers ne pouvant plus les payer. Elle vendit la maison pour en racheter une tout petite. N’ayant pas les possibilités de l’installer dans une institution spécialisée, elle prit Mona en charge. Il lui fallait trouver un travail très vite mais dans quoi ? Elle n’avait jamais travaillé et aucun diplome en poche. Toute repentante, elle s’est décidée de demander de l’aide au près du pensionnat. La directrice l’a prise en pitié et lui a donné un travail à temps partiel... Néttoyer les classes et les dortoirs pour un salaire qui passait en entier pour les soins et la garde de sa mère qui ne pouvait rester seule que peu de temps. Pour manger, elle se rendait chez les petites soeurs des pauvres car les restaus du cœur n’existaient pas à l’époque . La vie était bien dure mais Elise résistait pour sa mère.
Elle a fini tard ce soir et elle s’est préssé pour retrouver sa mère qu’elle savait seule à cette heure. Elise ne peut payer que deux heures de garde et là cela fait trois heures qu’ elle est partie... Elise a peur.
Elle ouvre la porte très vite, appelle sa mère mais pas de réponse, elle court à travers la maison à sa recherche et la retrouve dans la cave... une balle dans la tête. Une lettre bien en évidence au près d’elle.
<<Ma fille lit-elle, je ne peux pas vivre sans ton père et toi tu n’es jamais près de moi. Je ne vois pas pourquoi, je resterai. Je n’ai plus le goût à rien. Je m’en vais et pour être sûre de ne pas me rater, j’ai pris le petit pistolet que ton père m’a offert pour me protéger. Je sais tirer , mon père m’avait appris lorsque j’étais jeune. J’ai attendu que tu sois absente et voilà tu me retrouves ainsi.>>
Elise, déchire la lettre et s’assoit assommée sur un tabouret. Elle disparait ainsi et seule le cri l’étouffe. Un cri de rage...un cri de tristesse ... un cri tout simplement . Il n’y a plus d’espoir , sa vie est finie, sa mère est morte. Elle prend le pistolet, vise le cœur et ... se rate, le chargeur est vide...