Ils marchaient depuis si longtemps dans le froid que l’hiver s’acharnait à leur faire subir, comme un ultime châtiment. Les enfants pleuraient, heurtant leurs pieds glacés et fatigués aux crêtes aiguisées des cailloux. Les femmes accablées tentaient de rassembler leurs dernières forces, se laissant tomber parfois sur l’épaule d’un homme pour s’y reposer un instant.
Comme le printemps tardait à venir !
Manuel suivait la longue file des pauvres gens sur le sentier étroit, une besace rebondie lui heurtait le dos à chaque pas. Quelquefois, il prenait dans ses bras un petit garçon aux yeux cerclés de famine et d’épuisement ou soutenait un vieillard à bout de lassitude. Il avait encore le courage de rassembler quelques rares morceaux de bois épargnés par l’incendie que la guerre avait provoqué pour allumer un faible feu qui réchaufferait le soir les petits doigts gourds de ces gamins vieux avant d’avoir vécu.
Les routes de l’exil sont pavées de souffrance et de tant de renoncement !
Lorsque le soir venait, la troupe humaine se rassemblait sans bruit autour des maigres braises, les premiers jours les enfants s’étaient plaints, ces gosses dont le ventre criait famine, les hommes contraints à fuir la terre où ils étaient nés tenaient alors des propos enfiévrés, maintenant le silence avait fait place à la colère.
Quand le jour s’est levé, ils ont repris leur inlassable marche vers l’espoir, vers la France. En passant la frontière, Manuel a pleuré serrant tout contre lui le sac de toile grise, étouffant les sanglots qui montaient dans sa gorge.
Il a fait quelques pas puis s’asseyant sur une pierre noire il a ouvert sa musette répandant son contenu sur le sol : de la terre rouge de Ciudad Real.
Les jambes tremblantes et flageolantes il s’est levé et s’est écrié : « Ô terre d’Espagne, je te rends la liberté ».