Depuis son enfance il rêvait de savoir jouer du piano.
Mais lorsqu’on est fils de paysan et éleveur qui tire le cochon par la queue, on n’a guère les moyens et le loisir d’apprendre la musique. Il se contentait d’écouter les quelques disques vinyle que l’instituteur du village lui avait échangés, avec un tourne-disque, contre un jambon et des saucisses qu’ii aimait sans rouler sous la table.
Un jour, il eut la chance d’hériter d’un antique piano droit légué par une tante. L’instrument était en assez bon état et c’était pour lui un vrai don de la providence.
Sa maison exiguë étant déjà trop encombrée, il n’eut d’autre ressource que d’installer le piano dans un coin de sa porcherie mal éclairée.
Sa truie dominante observa l’instrument d’un air fort suspicieux puis retourna se rouler couchée dans la pataugeoire de boue nauséabonde.
Dès qu’il avait un moment de libre, il s’asseyait sur une caisse branlante face au clavier et essayait de retrouver la mélodie de « La truite » de Schubert qui le ravissait et qu’il avait écoutée des centaines de fois sur son tourne-disque.
Il avait bien du mal et fallait-il qu’il soit vraiment motivé, cerné par les grognements des cochons menés pas la truie vagabonde, dans une pénombre à l’odeur pestilentielle.
A force de répétitions, il parvint peu à peu à faire balbutier au piano sa mélodie favorite.
Mais il se rendit compte que son auditoire fort peu mélomane ne se nourrissait presque plus et devenait agressif, la truie refusant ses mamelles à ses rejetons et mordant méchamment ses prétendants. Néanmoins, sans se soucier d’autrui, il persévérera en dépit des grognements de plus en plus réprobateurs et de la colère grandissante de son public.
Un soir, en pénétrant dans sa salle de musique, il eut la stupéfaction de constater que la truie et ses acolytes avaient complètement détruit le piano.
Ivre de rage, il alla chercher son fusil de chasse et les exécuta tous dans une folie meurtrière.
Hébété, il s’assit à même le sol, face au spectacle des débris du piano flottant dans une mare de sang porcin.
Tristes fins pour l’instrument et la truie vagabonde qui n’étaient pas faits pour vivre de concert.